
l’aube nue, haïssable
Puissante tragédie de série B, qui se manifeste sans détour, à l’os, sans circonvolutions ou affectation, c’est là qu’elle est la plus belle.
Quelque chose de primitif ; par exemple, la manière dont les détails, rares, sont décisifs, et émaillés. Ils symbolisent non comme quelque chose de facile ou réducteur mais au contraire en étant incisifs, découpant dans le réel leur part de sens et de mystères à la fois, comme un juste milieu des choses, leur dessin en même temps que leur dessein. Nul besoin de dinosaures en images de synthèse, une seule poule dans le même plan que des pieds de femme se lavant sur la terre molle dessine déjà tout un monde ; à la fois celui de cette femme, sa propre terre, liberté difficilement obtenue, sacrifices, et tout ce qui est en creux, en négatif, la richesse, le « luxe », le monde dans lequel elle voudrait vivre. On se demande si elle sait que c’est une illusion, mais quand elle s’énerve, plus tard, oui, il semble qu’elle sait, que tout cela est pour rien (« Je casse parfois un objet pour qu’il se passe quelque chose »).
La notion de propriété, de terrain, comme ils en font le tour, tous les trois, Le Bandit (Arthur Kennedy), le paysan (Eugene Iglesias) et sa femme (Betta St. John), chacun à leur manière, métaphoriquement ; et aussi plus prosaïquement comment tout s’organise autour des questions de territoire, aux alentours de la ferme, des lieux ; les larcins et les vols, les choses qui changent de main d’une minute à l’autre.
Le personnage de la femme se révèle soudainement, on ne s’y attendait pas du tout, elle met du temps à passer au tout premier plan du film. Elle prend alors l’aspect d’une Bovary mexicaine qui se dévoile lors de la scène la plus belle du film. Le Bandit lui dépeint Vera Cruz comme un tableau de rêve, elle veut partir avec lui, quitter son mari qui pourtant l’a libérée de l’esclavage, et puis le Bandit, toujours plus juste, toujours plus honnête, lui révèle alors l’envers du décor, la réalité brute de sa vie de rien, son errance poussiéreuse, son désespoir permanent, le tourment qui le prend chaque jour, à l’aube nue. On croit voir, dans son discours, magnifique, une espèce de fresque baroque. Incroyable figure inversée du Bandit, en fait terriblement juste et honnête quant les autres sont des égarés. Lui est perdu, mais il le sait, et écartelé, il touche d’une main la grandeur et de l’autre la misère, s’en amuse pour n’en pas pleurer.
The Naked Dawn (Le Bandit) ; Edgar George Ulmer, 1955.