Trouver quelque chose, par hasard, qui touchera l’âme de celui qui le lira. Une seule personne, inconnue. Comme V., aujourd’hui. Sur le drap qui claque apparaît son visage en projection, sa mâchoire tendue. Espérer la faire sourire. Prodige des distances. Penser à un dimanche d’il y a quinze ans, être traversé par les mêmes états, à l’identique. Les états du silence des dimanches soirs. Nous aimions ça. Nous retrouver, puis nous laisser seuls, tard. Aller de pleine nuit à la station-service, La station-service est un cinéma ouvert de nuit. Acheter confiseries industrielles, retrouver l’homme qui nous encaissait, sans dire un mot. Les coups de piano, après, dans un appartement voisin, en pleine nuit. Plus rarement, rouler dans une voiture avec quelqu’un en fumant. Feuilleter des magazines qu’on connaissait par cœur. Une revue de cinéma, un magazine de mode, un roman policier bon marché, un livre de cul, sacré. Tout était si matériel alors. Tout était symbole à saisir avec les mains. Qualité particulière de silence de la ville, ces nuits-là. Les quais sans circulation. Pas de différences entre dedans et dehors, élastiques. Un film en cassette de plastique gris ; ou programmé en pleine nuit, synchrone avec nos veilles. Marcher dans le quartier des immeubles déserts. Aller voir un ami qui ne sort pas de chez lui. La cage d’escalier, avec toujours cette tenace odeur de purée de légumes. Les choses, dans le désordre. La voisine, rentrée se coucher. Je l’ai entendue dans les escaliers quelques heures avant. Elle n’est pas passée. Elle se lève tôt le lundi matin ; elle passera dans l’après-midi après ses cours. Je lui sers un verre de lait, elle se déshabille. On trouvait toujours quelque chose à faire de soi. La nuit était quelque chose de vivant, qui changeait sans cesse. Ça montait du sol, aucune préoccupation du légitime. À un moment, le son racole, change de trottoir. Nous avons les traits tirés, on parle de moins en moins, le sommeil nous rappelle à son ordre. On se déçoit pour quelques heures.