c’est-à-dire que je n’avais personne à qui m’adresser. j’avais envie de parler, de raconter quelque chose à quelqu’un, les circonstances d’un récit. quelqu’un à qui l’adresser. je n’ai parlé de cela à personne, je n’avais personne en face. je ne voulais pas parler au hasard des rues. je souhaitais plus que tout dire quelque chose à quelqu’un en regardant ses yeux, suivre, croire moi-même à ce que je dirais en regardant simplement le reflet de ses yeux s’intensifier ou juste varier, vivre. voir dans son regard, les inflexions du récit, au contact de l’oeil fluide, la sécrétion de l’histoire. mais je n’avais personne à regarder ou à parler. en un geste de désarroi, mon cou se tournait à gauche et à droite, je crois qu’on pouvait lire une forme de détresse dans le mouvement de mes paupières car j’étais un train au heurtoir, j’allais encore devoir rester en travers de ma propre gorge. les mots n’étaient pas encore là, et ils étaient déjà morts. je ressentais une sorte de dégoût de la solitude comme un acide trop fort qui la rongerait même. il y avait toute cette banalité qui me découpait les mains, qui me faisait une robe trop grande. tout était hésitant, je pensais avec des fautes entre les articulations. dans ma tête il n’y avait plus que des tirets, des pointes, des virgules et des injures. la journée était presque finie. mais de quelle manière continuerait la vie alors que tant de choses finissaient, le soir ? car le soir n’était jamais une promesse. je sentais une tension, quelque chose de grave se passer. je savais que c’était perdu, que personne ne m’aurait attendu. il y avait pourtant grand bruit autour de moi. j’étais comme une imprimante sèche, je ne savais pas si à la prochaine occasion, j’aurais encore cette faculté de parler. peut-être ne ferai-je plus qu’un son de caddie grinçant, la prochaine fois que j’ouvrirai la bouche, et que la brune qui fait peser ses légumes devant moi ne saura réprimer un rire que j’entends déjà et pour lequel il n’y aura jamais de péremption.
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crème fraîche
je n’arrivais pas à écrire ce poème que j’avais nommé « Crème Fraîche »
le titre était parfait, il m’était venu en ne lavant pas mes carreaux,
ce film suivez-mon-regard que j’avais vu cent fois
j’étais là avec ce titre, ce titre parfait, « Crème Fraîche », mais rien ne venait.
c’était pourtant aussi clair et beau que ces lettrages au pochoir
vantant sur les vitrines, « Crèmes Fraîches »,
tenant bien les promesses limpides de ce qu’elles vendaient
mais disons que j’avais le titre d’un poème, c’était déjà pas mal, je n’avais pas envie de m’accabler,
déjà que pour diverses raisons liées à une fille je me trouvais un peu minable,
je la voyais, impériale derrière le volant de sa décapotable, lipidineuse
(j’étais quand même pas peu fier de connaître une fille qui possédait une décapotable)
avec son sourire carnassier, elle avait déjà la pied sur l’accélérateur, souriait à, je regardai tout autour,
oui à moi et à tout va,
elle attendait que je monte ou que je lâche la poignée de la portière, j’avais pas trop envie de savoir
elle avait le style boxeuse en vacances
on s’écrivait de petits billets cochons qu’on avalait, c’étaient les instructions,
des petites formules fleuries et impubliables,
sans «phrases-sans-je-pour-faire-moderne»,
ah si j’avais pu m’en souvenir pour Crème Fraîche!
tout ce que je savais c’est que c’était un poème fouet à sens multiples
un poème à crinière dans laquelle mettre la main et l’en ressortir sale
et puis le poème venant quand il veut, il suffit d’attendre en mangeant des obsessions de popcorn
ou de fermer les yeux devant la route qui défile derrière le pare-brise
(quitte à chantonner un peu discrètement sous la fenêtre de la concierge, pour sa fille)
j’attendais toujours, et il y avait chaque matin le mot « prévarication »
qui s’écrivait tout seul sur le mur en face de ma fenêtre,
et je regardais chaque jour ce que ça voulait dire dans le dictionnaire,
et pourtant chaque soir j’avais oublié
et le mot s’était effacé
enfin bref c’est pas le propos, car crème fraîche je savais ce que ça voulait dire
et je tournais toujours autour
et le moteur de la décapotable aussi tournait c’était pas trop écolo mais je m’en fichais,
le vert et le jaune m’indifféraient
la voiture était noire, la crème était blanche, les murs étaient gris,
j’avais le titre, j’étais presque dans la décapotable, c’était quoi qui clochait?
des oublis mineurs, qui me mettaient dedans, des déserts trop fléchés ;
je me retrouvais face à mon grand miroir, mon grand malheur,
celui de ne pas me prendre au sérieux, celui de boire d’un trait les meilleures raisons,
mais après tout, certains jours, les teintes valent tous les mots,
alors, dans la défaite je sortis,
préférant m’accabler à la contemplation d’une dresseuse de tifs sous-alimentée,
et de son bas qui filait doux
précipité de l’été
souvenirs enchevêtrés d’instants inachevés
Aujour’nuit
Je ne sais pas quel jour on est, je ne sais plus quelle heure il est.
Une petite panique, qui tourne à mon poignet.
Nous sommes mardi. Enfin nous étions mardi. Ah ces jours, qui bougent sans cesse, dérapent.
Fin d’été. Je me promène au soir en n’écoutant que les bribes de musiques qui sortent des cafés tout le long du boulevard. Un long ruban de son qui bouge en même temps que moi.
Les gens devant les bars ont toujours quelque chose à dire. Ça fait des morceaux de phrases que je recompose, et puis que j’oublie. Ça m’aide à savoir qui je ne suis pas encore.
—
Début juillet
J’avais envie de l’été, j’en voulais à mon été, j’avais l’impression d’avoir perdu mon être ou ma raison.
J’avais envie de me réveiller dans une maison endormie et de sortir dans le jardin écouter le silence, un silence rempli d’infra-sons voiler la sphère atmo, d’être écrasé par la chaleur et un demi-litre de sommeil.
Paris était laid vieux pluvieux triste, comme ne tournant pas rond, je regardais les photos de vacances d’inconnus, en espérant m’y voir passer. Je me sentais abandonné, je parlais à des avatars, je n’arrivais pas à me coucher.
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Juillet
Pendant que le France perd je ne sais quoi ni combien au foot, j’embrasse une inconnue, par hasard, dans une cabine de la grande roue du jardin des Tuileries, sans vertige.
Le reste du temps, j’essuie la pluie comme un chat trempé, un chat qui parlerait japonais dans ses rêves.
«Essayez donc de rester silencieux, pour voir»
Heureusement il y a ces deux trois moments par jour où je deviens une phrase même incomplète.
Un jour, je plaisante avec une femme que je croise dans la rue, désemparée, car elle en est à sa quatrième boulangerie à porte close. On rigole par-dessus, parce qu’il y a un truc triste par-dessous.
Et cette femme, encore sur le boulevard.
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Quinze Août
J’étais dehors, il faisait enfin beau, c’était agréable d’être, « dans l’air », pas du tout apprêté, livré en vrac, à déambuler comme un clochard de l’âme.
C’est un ascenseur, c’est un magasin fermé pour l’été ou pour toujours.
Je marche si lentement, à regarder tous les détails, qu’ils vieillissent littéralement sous mes yeux ; je remonte le temps à force de lenteur.
Ma journée de soleil, à faire très lentement le tour de cette place, au rythme de l’astre, à attendre qu’arrive une éternelle retardataire en veste horizon.
Il pleut à la sortie du film, on fume une cigarette.
Petite iconographie érotique et portable d’un visage de jeune femme sous la pluie devant une affiche de cinéma.
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Août s’étirant
Le bar anglais est fermé, et tous les taxis sont libres. Il fait froid chez soi et je bois dans un gobelet en porcelaine froissée du scotch coupé d’eau. La voix et les réparties de Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil (où il pleut aussi beaucoup) me tiennent éveillé. Lauren « The Look » Bacall parle de Marcel Proust à Philip Marlowe, et puis disparaît. Il y a un moment que j’aime beaucoup, où Marlowe attend, pour reprendre sa filature d’un homme en face, en compagnie d’une jolie libraire à lunettes qui l’abrite un long moment en fermant sa boutique et en lui servant des whiskys. C’est un moment très court dans le film, mais dans ma tête, il s’éternise.
Une après-midi, je reste assez longtemps chez Picard surgelés, le vendeur était accueillant et avait l’air de s’ennuyer comme moi. On attend que la pluie cesse en bavardant.
Cette langueur, cette lassitude qui est une étreinte vide, un train vide ; le train des 3 heures du matin.
Prière d’insérer, sourires et smileys. Un jazz de peau qui flotte en silence.
Je symnole (je somnole en pensant à des symboles).
Je lis que Donizetti était capable d’écrire un opéra en une semaine, et plusieurs chansons «le temps que le riz cuise». Je me fais du riz et rien.
Un ami de retour de vacances m’offre une affiche du film Les Maîtresses de Dracula.
(«He Turned Innocent Beauty Into Unspeakable Horror»)
(traduction à ma sauce : il tourna l’horreur coupable en indicibles beautés)
« Aimer son nom ». « Aimer son propre nom ». « Aimer son nom propre ». Enfin des trucs comme ça qui remplissent l’espace vacant du cerveau. Mais avec une base 100% vraie.
Je rêve d’une chose en avance, sans rien savoir, et qu’on m’annoncera effectivement le lendemain par téléphone.
Pendant que je dors, une serveuse de bar me tend, en échange d’une cigarette, un paquet de biscuits vide dont je peux lire la marque dans le sommeil, mais plus au réveil. Or, cette inscription était très importante.
Justement, moi qui lis toujours les emballages, parce que j’aime beaucoup cette forme de texte ;
je retiens par exemple: « œuf entier liquide pasteurisé ».
Je me répète la phrase, la formule, « œuf entier liquide pasteurisé ».
Quelqu’un me dit «je voyais le sacré cœur de mon lit».
Une autre phrase passe «peut-être que tu te fous de la poésie», à trois heures trente-sept du matin (je n’ai aucune mémoire des chiffres, mais je l’avais noté). 03:37, c’est une poétique en soi.
Il m’était resté heureusement quelques soirs pour dissiper la chaleur et la foudre,
faire fondre les contretemps, une distorsion des principes,
un tremblement de mains mélangées, les deux bras de la musique,
pour apercevoir entre deux pulsations de lumière et de noir quelques beaux visages
experts en l’art de la construction de halos démesurés
à crier ce qu’ils avaient envie de se chuchoter.
De toute façon, il était trop tard,
et on se laissait des messages car on n’arrivait plus à se trouver dans la foule.
J’ai envie de fruits d’été, je n’en ai pas mangé assez.
Et voilà les fruits d’automne qui arrivent dans les supermarchés.
L’indifférence, l’indifférence. Je trouve que ça a presque quelque chose de mystique, cette indifférence.
Écrire quelque chose sur l’indifférence. Qui ne rencontrera qu’indifférence.
—
«Filles des nombres d’or / Fortes des lois du ciel / Sur nous tombe et s’endort / Un dieu couleur de miel»
Paul Valéry
milonga triste
à l’heure de fermer cette porte
je prends une dernière respiration de l’air d’ici
les grands blocs d’immeubles comme ils étaient laids et comme je vous aimais
par le ventre
par les tangos de sous-sol
ceux des seize ans qu’on continue d’avoir toujours
en dépit de tous les poids
l’arrachement de quitter quelque chose,
on ne pense pas à ce qu’on trouvera ailleurs,
rassemblés, en un instant, ce n’est pas une pensée, mais une brèche dans le cœur
tous les souvenirs de café
réunis en un seul souffle
les rires derrière la buée,
la douce pente du dos de ta main
je n’ose pas relever les yeux vers ton visage
au point de contact nous risquons, cette fois-ci, de pleurer,
dans le trop-tard
est-ce à tant danser, sur le carrelage fendu, qu’on s’est perdus de vue ?