20160227


Fuir la vie. Fuir l’ennui. Fuir l’ennui de la vie. Fuir la vie par ennui. Il vaudrait mieux fuir l’ennui par la vie. Comment trouver une prise. Un amusement. Vie sexuelle de manger des yaourts la nuit. Il fait vingt-deux degrés.
Sortir, lire, trouver l’inspiration. Avoir des tas d’idées. Moins on a de souvenirs, plus on s’y perd. Il faut des objets. Tout n’est pas désespéré. Il faut vraiment avoir épuisé tout le dérisoire, pour trouver enfin quelque chose. C’est comme une sorte de long dépouillement, qui dure des heures, qui épuise la journée elle-même. Jusqu’au point de bascule de la journée.
Ou alors, encore, simplement, être très fatigué. Quelque chose se relâche.
Essayer de ne rien faire c’est prendre le risque de quoi. Le risque d’essayer.

« Peut-être que s’ils n’en avaient pas, c’est parce qu’ils préféraient voir, plutôt qu’avoir… »
Lonsdale / Eustache / Une Sale Histoire

reste


car de chaque nuit il y a un reste
c’est comme si je la repassais à l’envers pour en entendre tous les sons.
une histoire d’un ton noir, de pavillon désert où se chuchotent les badinages de la plus capitale importance.
vers le matin, il y a ce moment où comme bouillent les pains frottés de nos ventres, ensemble.

il y a ce moment où tu es tellement là, intensément, te tenant, dans le retrait calme d’une patience refaite.
déterminant l’écart entre le désir et la forme absente.

et dans le langage et pendant toute une journée seront passés en fraude entre nous des noms d’animaux, de lieux, un décompte de kilomètres, dérisoire ; un restaurant aux vitres fumées, des descriptions encore imprécises de baisers, l’ouverture d’une page au hasard sur le mot myrtille, qui veut à toute force dire autre chose.

et à cette heure la plus tardive, après ton départ, je ferme les yeux quelques instants, la main sur le front, reposant tout entier sur mon coude, mal assis, le dos de biais, penché vers un peu de sol (« sol »…), et j’arrive à retourner, à me retrouver quelque part où j’ai déjà été, où j’avais même peut-être oublié que j’étais.
je reconnais l’espèce de figue qui pourrissait par terre et que je n’avais pourtant aperçu qu’un dixième de seconde il y a dix ans de cela et sans le savoir, sans même l’avoir remarquée.
et pourtant elle me parla alors de toi que je ne connaissais pas encore.
ou bien reconnais-je toute une scène, ou tel dos croisé une seule fois, ou l’amère lumière d’un jour oublié, ou bien ce Paris d’il y a vingt ans, peut-être d’avant-moi.
telle minute sonne juste et je m’avance, je fais tinter quelques pièces dans ma poche. je ne sais plus de quel acte je suis. je cherche partout, à cette heure enfuie, quelqu’un à qui offrir une cigarette.

mais, j’ai approché ton front, c’est une certitude qui m’étreint. je me sens peint, peint par toi dans le regard. tout est aigu comme le terrible beau qui vient, et à la fois très précis comme l’entrebâillement d’un coffre très ancien, précieux, le couvercle qui tourne pour s’ouvrir comme le sexe d’un matin inédit.