20160709 toboggan


je rêve (endormi) du mot toboggan. piétiné par des bottes en caoutchouc, roses, jaunes, bleues, claires comme un visage d’été. cette souffrance de parc criard pour enfants. je rêve (éveillé) de phrases qui soient libérées des verbes. je les écris, et je les relis comme on les lècherait. rêve de faire des trucs organiques aux choses, aux mots, que les pratiques soient désordonnées, écrire un poème avec une fourchette.
confronté à l’impossibilité d’écrire, il me semble cependant qu’il s’agit là d’écrire néanmoins, que c’est bien la même chose. la demi-seconde d’après, épouvante à nouveau devant la page verticale, l’écran est injecté de sang à force de me regarder, de regarder le vide dans mes yeux. même pas un billet de dix à me filer. juste un peu de sueur là et là. sueur dans l’œil de trop de vide.
il faut deux lignes vivantes qui sautent au visage, un seul mot nouveau qui annihile les paragraphes liquides et ces répétitions qui se veulent neuves mais ne font qu’ânonner.
l’été c’est quand les corps deviennent collants, ne trouvent pas de bonnes positions pour dormir, qu’il y a plus de bleu, que les odeurs sont plus mélangées, volatiles (« un mélange d’odeurs d’essence, de salon de coiffure, de mésange envolée : l’été »).
j’aime entendre le souffle de la ville rendue disponible. un temps de chansons désespérément gaies qui sortent des vitres des véhicules, de pailles dans l’œil. les sourires sont plus blessants, les gens plus nus. et moi, j’hésite davantage, dans les climatisations.

20160610 perfect kiss


je m’éveille et je commence à rêver.
comment la forme petite devient plus grande qu’elle-même, tragique à sa façon ? quel est le secret du charme ? des questions comme d’un parfait baiser.
mes meilleurs moments sont des dixièmes de seconde d’intuition qui échappent à la parole et qui me prennent par surprise : lyrique, prêt à partir. mais la seconde d’après qui s’éternise, j’ai le bec cloué, les genoux au sol. il me semble qu’on va m’enchaîner les poignets ou me faire un procès. la raison : à force de mentir sur mon âge, je ne sais réellement plus quel est mon âge. une certaine idée de la vitesse : aller plus vite que les années. une certaine idée de la vitesse : quand la pluie ou les larmes se transforment en armes, en pierre, en roman.

20160210


Je me fais une purée d’heures (ça prend toute la journée aux bas mots), et quand j’ai sommeil, ça devient intéressant, je me dis « haut les mains », je me fais peur, je me glisse dans les doigts du rêve. C’est-à-dire que ça peut enfin commencer, quoi, et bien le rôle de l’écrivain-détective. Je tape mon petit rapport, laborieusement, avec le bruit softé qui va avec, sans aucune modestie, car c’est un sauvetage.
Puis jeu idiot, je tape des lettres au hasard sur le clavier. En fait c’est très difficile. Mes doigts frappent sans cesse les mêmes lettres. Il y a sans doute un oracle, quelque cause à déchiffrer ; comme si le hasard, ça se méritait, qu’il ne voulait pas se plier à des caprices ; que le hasard était plus difficile à atteindre. On pourrait peut-être écrire comme ça, taper des lettres au hasard, collecter les mots qui tant bien que mal, sortiraient de cette loterie de la frappe. Les assembler, patiemment, sans pensée, sans réfléchir, en composant simplement les associations.
Ça manque probablement de cheval ou de moteur, d’un truc sur lequel monter pour aller vite.

20160209


04H25 dans le silence le plus complet. « Refus d’étagères », me dis-je, confusément en m’éveillant. J’aime bien ces formules obscures qui prennent naissance dans le sommeil et qu’on cueille au réveil ; peu importe. Un peu de somnolence pour un peu de réveil. La pluie m’est témoin. Je me souviens tout à coup de ces règles larges en plastique orange, très souples, qui contenaient en creux toutes les lettres de l’alphabet qu’on pouvait ainsi tracer en en suivant les contours au stylo. Une sorte de règle pochoir. Je cherche le mot qui désignait ce plastique, ce genre de plastique, synthétique, cristalline, je vois très bien ces règles larges, pas très pratiques à utiliser, fastidieuses, acrylique, je pense à acrylique, des règles en acrylique. Est-ce que cet outil existe encore, en vend-on encore, translucide acrylique. Qu’il fallait tenir fermement sur le papier, et tracer une lettre après l’autre. Traces du rêve au moi acrylique, voilà.

la langue sous les mots


— est-ce que l’écrivain, c’est celui qui n’écrit pas, quand tout le monde écrit ?
il se tait pendant vingt ans, il se terre, évidemment. la page blanche qu’il a dans le ventre vide grince. il prend quelques notes qu’il oublie, il a honte de ses brouillons, les cache, les avale à défaut d’autre chose. il voudrait en rester là. souvent, trop de mots viennent à la fois et repartent avant qu’il ait pu les noter, en écrire d’autres le dégoûte. il le fait quand même. il voudrait juste être un danseur, un menteur, obéir aux saisons, aux heures du jour. jaloux du pianiste, jaloux de l’âme-de-tous-les-jours qui n’a pas ce sale besoin de dire. dire n’est pas d’ailleurs la question. c’est plutôt une manie de la précision qui voudrait s’exercer dans le noir. il se tait longtemps. toujours à devoir nier les interprétations, alors qu’il n’y a rien à comprendre.
quelle indifférence de soleil blanc les aveugle pense-t-il parfois en silence.
il déteste les avis, il n’en a aucun de fixe, que des horizons chancelants. il fait juste des suppositions, plutôt que d’arroser d’affreuses plantes grasses trop réelles. il écoute les voix diverses qu’il croise dans les cafés, les rues. il est contraint chaque jour à suivre la ligne de sa médiocrité qui s’étale, de sa main, juste sous ses yeux. tout est toujours trop court, l’élan se casse, il ne va jamais au bout du plongeoir, redescend piteusement par l’échelle, même si plus tard, par chance, il décrira peut-être une gerbe d’eau comme personne ne l’avait fait auparavant. que personne ne lira. parfois il est un idiot qui verra un espoir indéchiffrable en plein chaos. le dira-t-il ? par sûr car une mouche a peut-être dérangé son travail, et c’est elle qui devient le centre de toutes ses préoccupations. regarde comme elle tourne sur elle-même, sur la page, sur l’écran, sans poids, un rêve. s’en va cogner à la fenêtre. un camion passe, pendant un instant c’est la plus belle chose du monde. tout l’arrête. il doit sans cesse recommencer. quelle fatigue s’il n’y avait pas toute cette curiosité, cette indiscrétion pour les bibelots. les mots, sont-ils de la viande ou des légumes ? est-ce que l’âme a un brûleur ? il est bien seul avec ces questions. fatigué d’articuler, il se tait. il veut juste donner une forme à son épuisement.

micro-coupures


Au moins j’aurais été contemporain de quelques trains. Souvent en retard. Mais quel ennui. J’envie ce type qui dort à côté de moi, de l’autre côté du couloir. Mais je me sais capable d’ennui même en dormant. Je me demande si un jour il me viendra l’envie de voyager avec un oreiller. J’imagine un dispositif futuriste : un oreiller grâce auquel, simplement en y posant la tête, on pourrait être transporté partout. On me fera remarquer que. Soudain un tunnel me soulage de la lumière sur ces champs verts jaunes moches. Une nuit opaque de quelques secondes, forcée, qui détend les nerfs. Je réalise que j’aimerais bien parler de rien avec quelqu’un. Mais je ne vais quand même pas réveiller ce type. Et ne plus savoir quoi lui dire. Un hangar gris est peint affreusement d’un paysage de mer. J’échange quelques messages de pouces sur mon téléphone. Mais on est coupés tout le temps. Dans ce train nous allons plus vite que les ondes. Il ne faut pas espérer de messages en temps réel. Je remarque que je me suis justement coupé ce matin, je crois peut-être avec mes clés en partant, au pouce droit, à la phalange. Pâle ange. Non. Ma conversation est soumise au caprice du réseau vacillant. J’imagine une conversation, réelle, dans laquelle on serait coupés par une mauvaise qualité de l’air ou même, de l’écoute. On ne verrait soudain plus que les lèvres de l’autre bouger. Ce serait reposant souvent inquiétant. Pourquoi pas hein. Le train a un peu d’avance, ça me contrarie, plus rien n’est logique. Je n’ai aucune expérience en la matière à transmettre. Je suis plus familier des retards. Les miens. On nous arrête, à cause de l’avance. Où nous sommes, je lis voie a, voie b, repère x ; oh je descendrai plus tard, au prochain quai, le dernier quai au possible. Des gens sortent l’air méfiant avec leurs bouteilles en plastique vides. Le plastique m’a parfois un air si précieux. C’est comme un rythme dans les mains qu’on suit sans le savoir.
Je pense au corps abandonné. Endormi peut-être encore. Sur le lit. Abandonné absent. Pâle ange, oui. Le dos bouge un peu, chair lointaine, composant l’absence. L’absence de réponses. 
Le train repart.

Par la fenêtre, je défais l’image, en regardant seulement la perspective. Je voudrais la désapprendre, et que mon regard soit plat. Je décompose l’image avec mes yeux, je l’aplatis, je retourne à des temps très anciens. Puis je réalise que je peux écrire ce que je veux en utilisant cette manière.
J’essaie, j’essaierai ce plat des mots, s’il fait mal ou bien.

material


C’est l’heure d’un négoce hasardeux et dérisoire. Pour contrebalancer mes rêveries plastiques. J’en sens le goût de raisin salé, de plage en hiver. Où quelqu’un plaque les paumes de ses mains sur son visage, pour ne pas apprendre, pour ne pas entendre. S’éloigne la personne. Sans me voir. Le son de l’eau est inévitable, ne s’arrête jamais. La pensée d’un métronome. Qui déchire le thorax, avec les arêtes d’un poisson frais pêché et porté à la bouche. Je me souviens d’une parleuse dont les phrases étaient glissantes. Et ses gestes ? Des jetés de cartes, risqués et gagnants. Je fais tourner mon fauteuil d’un demi-tour, et c’est le monde qui a changé. C’est le jour et la nuit, ou l’été en essuie-glace. Partout des lettres sont tracées sur les matières. Je n’en connais plus l’ordre exact, ni ton adresse, les indéchiffrables. Je reste dehors à attendre, à regarder les passages, les hameçons, les présages. Je fais des choses qui ne se voient pas tellement, j’inverse les intentions. Je tends vers toi mes gants remplis d’impatience.