20151209 23+1


Je suis incapable de dire comment s’est écoulée cette journée, ce qu’il s’est passé. Comment je suis arrivé, par exemple, à l’heure de 23 heures. Et pourtant c’est bien l’heure que je lis maintenant, illuminée en chiffres rouges comme des clous de lumière plantés devant mes yeux qui n’en reviennent pas. Le banal gagne souvent la partie, et il a tous les droits de rejouer, sans fin. Un grand pouvoir (à lui opposer) : la poussée en désordre de phrases dans un grand arbitraire délivré du sens.
L’heure intéressante, c’est quand il est trop tard, quand il commence à être trop tard. Le sentiment d’un boyau étroit, le sentiment d’une sorte de gâchis. Tout me semble fragile, perdu, précieux. Je ne peux regarder autour de moi car il n’y a rien. Je suis dans ma chambre, rien n’a bougé. Je me suis levé sans y penser, j’ai juste suivi quelques automatismes, quelques impératifs. Dégageons l’impératif et que reste-t-il ? La marge de manœuvre me semble si fine, presque inexistante, particulaire. À travers mon esprit passent les ombres fantômes d’autres lieux. Que j’ignore, que j’imagine. Ce sont des ressources auxquelles je ne sais pas accéder. Des mirages qui me sont barrés. Du passé, de l’ailleurs. Définir sans précautions, dire ce qui est, ce qui passe. Même et surtout si c’est faux, ce sera vrai la seconde d’après. Car c’est la seconde d’après qui importe, pas les semaines ou les années.
Je suis toujours étonné de voir que la ville existe encore, en bas. Certains s’échangent des secrets. Longtemps, on ne me donne ni ne me demande de nouvelles. Comme si mon propre silence était une peinture toujours trop fraîche, intouchable. À portée pas de pierre assez dure pour briser le cristal. Je me coupe les mains sur les choses faciles. Plaisir de ne pas réfléchir, de se contredire. J’écoute, brisé de fatigue, une chanson immortelle qui a trente ans. C’est mon repeat paysage du soir. Quelque chose me dit qu’à cette heure-ci, la Joconde s’ennuie. C’est une heure qui ne correspond à rien, une musique de ville vide. Personne nulle part ne va rien vous demander.

j’ai vu


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Des lieux déserts semblent la seule préoccupation de la lumière, précise et déclinante. Cœurs d’emprunts recouverts d’une peau vierge. Un tracteur roule à grande vitesse sur une route de campagne. Ave maria sans paroles. Cela sans pensées aucunes, en traversant depuis le train des paysages sans histoires mêlés de hangars et de serres. Une mélodie volage pour seul fil de mémoire. Je ne sais plus quels sont les effets du vent. Des papiers sales font briller l’atmosphère. La clarté est insaisissable, je n’ai que des propositions malhonnêtes à me faire. Mon ventre gargouille sans que je ne puisse rien y faire. Sécuriser les âmes en peine, je lis ou entends cette phrase quelque part, l’œil indifférent.