qu’est-ce que j’ai fichu, où ai-je mis mes clés, mes affaires, mes préoccupations. j’écris un peu de tout et surtout n’importe quoi dans des carnets de petite taille que je perds, que j’oublie. parfois un peu volontairement, hop, derrière un fourré. j’entends des plaintes perceptibles de moi seul. je suis pensionnaire libre de ces parcs d’après-midi. je signe avec la paille d’un cocktail et le peu d’encre d’alcool qui s’y trouve, sur des tables de bistrots où tu ne viens pas. allez soyons honnête, je ne sais même pas à qui je parle, à moi-même, collectionneur de reflets. j’aime les portes en verre, les battants, les œillades songeuses derrière l’acétate des porteuses de lunettes. tout à coup le pianiste devient lyrique en frappant ses douze notes à dix doigts. je suis le seul à le remarquer. il pense à une fille précise et absente. dans ma tête, je monte le son, je joue la pièce au soleil. les gens sont aveuglés par la lumière de printemps, ils ne me voient pas quand ils passent à mes côtés. des hommes consistants recueillent les suffrages en disant des énormités, je les écoute, j’ai cette passion pour la chose parlée quand elle ne me concerne pas. oui comme des paroles en plomb et en l’air ; ils ont cet aplomb qui m’échappe, et j’ai les oreilles sensibles. le plus souvent, je ne réponds pas à ceux qui m’ignorent, le monde va comme ça, indifférent comme un sous-sol de supermarché. dans la soirée, une fatigue vient me soulager, et moi-même, par fatigue, je ne soulève jamais aucun grand mot.
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20160219
Est-ce qu’on peut dire quelque chose de soi dans le métro, ou bien les autres neutralisent sans rien faire toute velléité d’affirmation ou d’énonciation ? D’autres choses parlent plus ou moins, selon leur propre manière : je parcours les placards publicitaires, les affiches diverses qui tentent d’intervenir. J’écoute la conversation enjouée de ces deux Italiennes, je me sens très éloigné d’une parole qui serait susceptible de me venir. Ce serait un événement qui outrepasserait la parole, ce serait même une sorte de contre-parole, quelque chose qui contredirait le cours normal. On s’arrête dans un tunnel. Les lumières s’éteignent et la machine s’interrompt. Tout le monde baisse la voix. Nous sommes dans le noir, comme dans une salle de cinéma. Mais les écrans sont dans nos paumes, et nous ne savons qu’en faire.
La cinéphilie de mon adolescence était faite de désir et de frustration, alors qu’aujourd’hui les ressorts en sont complètement inversés : tout est accessible presque dans l’instant, c’est très différent. Pour moi, voir un film était un événement quasiment rare. Je passais plus de temps à lire des articles, à rêver en consultant des synopsis dans Pariscope ou à feuilleter dans tel livre, bien sûr sans le posséder, à rêver sur les photos d’Alice dans les villes.
20151212 « discrète, mais remarquable »
En avançant dans une après-midi déjà déclinante, en marchant dans ces deux rues, dans cette lumière de retour, je sombre très lentement, je me fonds plutôt, dans une sorte de nostalgie un peu précaire, plus forte que les mots. Je ne sais pas ce que c’est, une sorte d’enveloppement de la lumière, un filtre particulier, qui concerne les plus silencieuses artères des vies. Je me retrouve transporté par d’infimes stimulations. Une vitrine éclairée, le mobilier à l’intérieur derrière la vitrine, avec sa couleur de vieux bois mat et mielleux, me téléporte vers des décors, des scènes, pourtant si peu significatives, à peine entraperçues ; mais qui se sont imprimées, tout à mon insu, dans mon répertoire. Comme si les yeux se posaient enfin, vingt ans plus tard, sur telle chose déjà (à peine) croisée ; la révélant enfin. Mais des choses anodines, dénuées d’histoires ou de visages, de personnes. Des matériaux. Mais les matériaux c’est mystérieux. Des matériaux et leurs immatériaux correspondants. Des sortes de transports, en somme ; des machins à remonter le temps. Je retrouve l’odeur de la javel qui sèche, des carottes qui finissent de cuire, une ceinture de cuir qu’on desserre. Quelque chose d’inoxydable mais bref, une pulvérisation.
C’est aussi cette sensation brutale du jour qui s’évanouit, qui vous abandonne, qui se retire à jamais de vous. Une peau tombe et dessous qu’y aura-t-il ; encore moi ? J’ai rendez-vous, je suis en retard, je ne sais pas comment y aller, comment faire, ce qui va se passer. Quoi dire. Je cherche déjà à fuir de mes propres réponses alors qu’on ne m’a encore posé aucune question.
Plus je marche vite, plus le sang bat, plus mon visage s’agite ou se transforme. J’aperçois une femme immobile dans sa boutique de tentures vermillon, qui fixe les passants. De quand date son dernier mouvement. Son dernier mouvement de tête date peut-être d’il y a vingt ans. Elle bouge à ma vue. Ce qui compte, c’est qu’elle s’éloigne et qu’elle s’approche. Qu’elle m’adresse de brefs coups de regards qui me transpercent. En dépit du monde, des codes, de toutes ces choses non dites, nous sommes ensemble mais chacun de notre côté sous l’aile de cette incertitude encore de ce qui pour chacun se passera, dans une éclat de connivence floue.
la langue sous les mots
— est-ce que l’écrivain, c’est celui qui n’écrit pas, quand tout le monde écrit ?
il se tait pendant vingt ans, il se terre, évidemment. la page blanche qu’il a dans le ventre vide grince. il prend quelques notes qu’il oublie, il a honte de ses brouillons, les cache, les avale à défaut d’autre chose. il voudrait en rester là. souvent, trop de mots viennent à la fois et repartent avant qu’il ait pu les noter, en écrire d’autres le dégoûte. il le fait quand même. il voudrait juste être un danseur, un menteur, obéir aux saisons, aux heures du jour. jaloux du pianiste, jaloux de l’âme-de-tous-les-jours qui n’a pas ce sale besoin de dire. dire n’est pas d’ailleurs la question. c’est plutôt une manie de la précision qui voudrait s’exercer dans le noir. il se tait longtemps. toujours à devoir nier les interprétations, alors qu’il n’y a rien à comprendre.
quelle indifférence de soleil blanc les aveugle pense-t-il parfois en silence.
il déteste les avis, il n’en a aucun de fixe, que des horizons chancelants. il fait juste des suppositions, plutôt que d’arroser d’affreuses plantes grasses trop réelles. il écoute les voix diverses qu’il croise dans les cafés, les rues. il est contraint chaque jour à suivre la ligne de sa médiocrité qui s’étale, de sa main, juste sous ses yeux. tout est toujours trop court, l’élan se casse, il ne va jamais au bout du plongeoir, redescend piteusement par l’échelle, même si plus tard, par chance, il décrira peut-être une gerbe d’eau comme personne ne l’avait fait auparavant. que personne ne lira. parfois il est un idiot qui verra un espoir indéchiffrable en plein chaos. le dira-t-il ? par sûr car une mouche a peut-être dérangé son travail, et c’est elle qui devient le centre de toutes ses préoccupations. regarde comme elle tourne sur elle-même, sur la page, sur l’écran, sans poids, un rêve. s’en va cogner à la fenêtre. un camion passe, pendant un instant c’est la plus belle chose du monde. tout l’arrête. il doit sans cesse recommencer. quelle fatigue s’il n’y avait pas toute cette curiosité, cette indiscrétion pour les bibelots. les mots, sont-ils de la viande ou des légumes ? est-ce que l’âme a un brûleur ? il est bien seul avec ces questions. fatigué d’articuler, il se tait. il veut juste donner une forme à son épuisement.
dimanche cher vieux vampire
des sons de draps, de mousse, des frottements. de calmes ébats de rue. je ne vois rien, le rideau est fermé. ça se passe derrière la fenêtre. de lents écoulements d’eau. un monde en train de se transformer, de se diluer. dimanche cher vieux vampire. des rubans de lumière dessinés par les phares s’écoulent en presque silence. je me suis toujours demandé où les voitures, le dimanche soir. dont seules mes rêveries indolentes, ininterrompues, parviennent à recréer des parcelles de réalité ; c’est à dire à tracer le plan d’un territoire incompris. des téléphones qui ne sonnent plus, des grandes orgues, qui se taisent, probablement obstruées par un peu de muscle, de viande, dans les tuyaux. chaque heure qui vient semble retarder le jour, attiser le jouir. il me faut cligner plus souvent car la vue se brouille, se divise. d’autres antennes se passent le relais. j’absorbe toutes ces sortes de signaux, et je saurai alors te reproduire, d’autres soirs.
j’aime murmurer faiblement un mot inconnu, j’aime sur le mur le défilé d’autres yeux, et l’euphorie de trois heures du matin.
mots interdits pour un montage de film (programme)
intertitres, cartons des paroles d’une vieille chanson. des choses tremblent. monde énorme et clos. les visages pour basculer d’une chimère à l’autre, des visions, des propositions délirantes. chutes, d’eau, de cheveux, déclinantes. boucles courtes qui oscillent. la fille qui court. des petits bouts de paysages déchirés et déposés-là, pareil pour la peau ou les visages. comme des découpes de lumière par les ailes de l’oiseau toujours invisible. cris-d’animaux-off. filets tendus d’un bout à l’autre. immenses fougères-bras qui balaient le visage de la passante. ses clavicules sont une forme de politesse vaine. pourquoi caresse-t-elle ainsi l’eau qui s’ennuie ? le trouble touché des doigts. elle frotte son dos aux dos des arbres. sa robe tombe et se mouille. fleur synthétique au cœur luxuriant. entrain désespéré de la prière sans objet. on ne voit pas si elle pleure car elle est trop loin, allongée sur la pierre. l’ombre d’une feuille d’arbre qui masque l’œil. épaule dénudée qui ne veut rien surtout pas de main. la musique revient deux fois sans aller par la même gorge. lumière cassée à fronces blanches, noir narcisse où plus rien ne passe.
pourtant mes yeux n’avaient fait que glisser
Elle saisit l’écran brillant de son téléphone, qui transpire, lui aussi, légèrement.