20160223


Je regarde une photo de B., en noir et blanc. En chemise claire et entrouverte, moins raide d’attitude que souvent cet air sérieux qu’il arbore et que j’aime tant. Une sorte de malice dans l’arrière-pensée du visage, un sourire possible (bien qu’il n’arrivera jamais). Au premier plan, les manches de la chemise sont repliées plus haut sur les avant-bras ; et ses mains sont posées sur une table, dans la même attitude ou presque que si elles étaient sur un piano. C’est discret, et très étrange. Il est là comme au piano sans le piano. Le noir et le blanc partout, la musique dans le regard.

20160220


Il y a ce petit bout proéminent, tout au bord de l’oreille. Bout de chair sans nom. Je l’ai comme découvert aujourd’hui. Tiens, ce petit bout de chair plus ferme que le reste, cartilage ou que sais-je. Des choses inconnues et si proches. Tout est un peu comme ça, non ? Je n’y avais jamais prêté attention, c’est la première fois. Mais non, je ne veux pas spécialement savoir son nom. Je veux continuer à lui foutre la paix, après tout. Quart d’heure de gloire, c’est bien suffisant. Chacun retourne à ses affaires.
(Rien à voir mais) foutez un peu la paix à vos oreilles.

Il s’agit de trouver quelque chose qui passe le filtre de la « censure ». Trouver quelque chose à écrire pour en quelque sorte masquer ce que l’on ne peut pas écrire. Je ne sais pas, hein. Mais il faut peut-être simplement tenter de réduire la distance entre ces deux points. Et tout ira bien.

20160219


Est-ce qu’on peut dire quelque chose de soi dans le métro, ou bien les autres neutralisent sans rien faire toute velléité d’affirmation ou d’énonciation ? D’autres choses parlent plus ou moins, selon leur propre manière : je parcours les placards publicitaires, les affiches diverses qui tentent d’intervenir. J’écoute la conversation enjouée de ces deux Italiennes, je me sens très éloigné d’une parole qui serait susceptible de me venir. Ce serait un événement qui outrepasserait la parole, ce serait même une sorte de contre-parole, quelque chose qui contredirait le cours normal. On s’arrête dans un tunnel. Les lumières s’éteignent et la machine s’interrompt. Tout le monde baisse la voix. Nous sommes dans le noir, comme dans une salle de cinéma. Mais les écrans sont dans nos paumes, et nous ne savons qu’en faire.

La cinéphilie de mon adolescence était faite de désir et de frustration, alors qu’aujourd’hui les ressorts en sont complètement inversés : tout est accessible presque dans l’instant, c’est très différent. Pour moi, voir un film était un événement quasiment rare. Je passais plus de temps à lire des articles, à rêver en consultant des synopsis dans Pariscope ou à feuilleter dans tel livre, bien sûr sans le posséder, à rêver sur les photos d’Alice dans les villes.

20160218


J’énumère les restes, je les accommode. Des patches. Compter les jours d’absence aux fenêtres. Il y a des temps qui restent dans la glissière, je fais les distributeurs, les machines à sous, pour récupérer un peu de monnaie de temps. Chaque jour, dans tout qu’on me dit, je pense qu’il doit bien y avoir un truc avec sens caché, une vérité capitale et masquée. Je vais bien en trouver un morceau. C’est un peu comme plonger le bras à travers la gueule jusque dans les entrailles d’un poisson ruisselant. C’est à la fois dégueulasse et très beau, brillant comme cette peau d’argent. Les paroles ordinaires qui ouvrent des coffres en argent. Ordinaire, comme l’étaient les croissants quand ils étaient extraordinaires. D’heures en heures, il y a parfois quelques secondes qui nous sauvent. Un peu plus aiguës, musicales. Je passe tout au rattrapage. Ces journées bénies où l’on ne répond à aucun questionnaire. Des jambes qui n’appartiennent à personne, sur des corps qui fuient dans les coins. Temps d’avance dont je ne fais rien. Soupirs de malaise à l’adresse mal définie, bancales collections de mélatonine.

20160214


Elle n’était pas à sa place. Dans ce petit snack. Et moi non plus ni la personne avec qui j’étais. En fait personne n’était à sa place.
J’observais cette mère de famille banale, avec ses deux enfants. Je l’ai remarquée à son air absent. La petite fille, à côté d’elle, qui dessinait. Le garçon, à peine plus âgé, en train de jouer tout seul à se déplacer dans la boutique, à dépenser son énergie. On est juste entrés quelques minutes pour s’asseoir et manger un œuf. La mère, je me demandais ce qu’elle faisait là, à cette heure-ci. À attendre je ne sais quoi, mais plutôt, à n’attendre rien, c’est bien ce qui m’intriguait. C’est une interrogation fréquente, que donc fait-il, elle, ici ? Le petit garçon souriait vaillamment. Elle n’attendait rien ni personne. Je ne savais pas quoi en penser. Nous sommes partis avant elle. Où allait-elle échouer à la fermeture du petit snack. Je taisais mes ruminations.

20160211


Il n’y a que les nuits qui soient assez vides, creusées et profondes pour égaler ce sentiment de pièces pour clavecin qui contiennent tout (livres, film, pictural, univers). Je ne suis pas obligé de faire des choses, de rebondir partout, je peux rester immobile, trou noir d’un vaste désir et reparcourir le temps en sens inverse. Des choses remontent comme un courant d’air large au visage, perméabilité de l’immobilité.

20160210


Je me fais une purée d’heures (ça prend toute la journée aux bas mots), et quand j’ai sommeil, ça devient intéressant, je me dis « haut les mains », je me fais peur, je me glisse dans les doigts du rêve. C’est-à-dire que ça peut enfin commencer, quoi, et bien le rôle de l’écrivain-détective. Je tape mon petit rapport, laborieusement, avec le bruit softé qui va avec, sans aucune modestie, car c’est un sauvetage.
Puis jeu idiot, je tape des lettres au hasard sur le clavier. En fait c’est très difficile. Mes doigts frappent sans cesse les mêmes lettres. Il y a sans doute un oracle, quelque cause à déchiffrer ; comme si le hasard, ça se méritait, qu’il ne voulait pas se plier à des caprices ; que le hasard était plus difficile à atteindre. On pourrait peut-être écrire comme ça, taper des lettres au hasard, collecter les mots qui tant bien que mal, sortiraient de cette loterie de la frappe. Les assembler, patiemment, sans pensée, sans réfléchir, en composant simplement les associations.
Ça manque probablement de cheval ou de moteur, d’un truc sur lequel monter pour aller vite.