frère inconnu d’écriture


2015-0805_01039
Je sais qu’il est très loin, qu’il vit quelque part très loin, un endroit où je n’irai jamais, de peur de n’en jamais revenir, et sans même l’avoir trouvé. Ces endroits qu’on ne peut même pas imaginer. Il y vit une existence qui m’échappe, en pointillés, à traverser des rues auxquelles je ne comprendrais rien. Mais je sais qu’il existe, la pensée me ramène à lui de temps en temps. Nos expériences divergent totalement, nous sommes complètement différents, dissemblables peut-être même. Rien ne nous rapproche, apparemment. Nous pourrions nous croiser dans une ville, sans un regard, sans que personne ne remarque quoique ce soit, sans que nous mêmes y prêtions attention. Mais pourtant, par la grâce d’un infime tiraillement que je sens parfois quand je marche ou que quelque chose, vague, me rappelle son existence, je sens ce lien très étroit, élastique et changeant, mais solide, et qui nous relie hors de toute manifestation visible. C’est une sorte de toute petite entrave, qui en fait n’entrave pas mais simplement se rappelle à moi, un lien avec cet inconnu, sous la forme d’un poids qui compte.


Je me trouve très souvent dans la plus grande distraction. Je ne pense pas, je m’applique à des bêtises, je perds mon temps au milieu de gens qui font la même chose, nous nous gaspillons mutuellement comme si nous nous tenions tous à bout portant d’armes multiples et dérisoires, à force de bavardages inconsistants, de dilution, d’heures perdues. C’est une condition de nos existences, que je ne renie nullement. Mais pourtant, à peine plus loin, et seul, et dans une autre dimension, il y a lui, ou elle, qui attend. Assis sur un banc, dans un abribus (c’est la nuit et le service est fini), ou en train de regarder depuis la vitre d’un taxi. Qui m’attend, qui attend un signe, ou que je revienne à moi, et donc un peu à lui.


Tu me fais parfois peur : je sais que tu vis quelquefois n’importe comment, que tu te dépenses, que tu prends des risques, des risques de solitude et que je connais aussi ; je crains ta morsure, tes inquiétudes me rattrapent ; je ne te connais pas, mais je suis soucieux de toi.