20151210 assaut liquide


Aujourd’hui je suis à moi tout seul un réseau asocial. Ce ne sont que des morsures, des brisures de mots, d’écumes, de choses qu’on n’a pas envie de lire ou d’écrire. Échouer sur la pierre. Besoin de retrouver une sorte de cercle vide dans lequel je n’y suis pour personne. Comme d’arrêter d’un geste de la main cinq, ou cinq cents milliards de je-sais-pas-quoi.
Pas de photos, pas de phrases publiques. Les cheveux veulent me rentrer dans la bouche. Je ne dis rien. Phase pudique. N’essayez surtout pas de me refiler vos rêves, vos récits de rêves, vos plaintes. À la fin de la nuit, seule une photo qui arrive depuis l’autre côté de la terre me ravive l’existence.

postales


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j’ai en face de moi une carte postale en relief, d’un œil qui cligne à l’infini — tant qu’on le regarde en balançant un peu la tête. tant qu’on regarde, tout cela tient.
comme une soucoupe tient ensemble toute la succession des tasses et tous les après-midi d’hiver —
l’ébrèchement, c’est ta lèvre qui tremble —
je reviens de quinze jours ailleurs et depuis hier je m’active à faire le vide, j’ai besoin que les heures me passent sur le corps. je me secoue de la poussière comme un corps se réveille dans un film d’épouvante, sortant d’un buisson ou d’un tas de feuilles mortes où il a dormi cent ans.
j’ai senti différentes épaisseurs d’une chevelure, dans une cage d’escalier entièrement plongée dans une gelée noire. mais, était-ce bien cela ? Ou l’indécence à fils perdus d’un tableau électrique ?
je voudrais manger de la peau d’oignon — car c’est un signe de génie —
comme je ne peux pas prendre le monde dans mes bras, ils restent ballants —
et les avocats, dans la panière à fruits de fer rouge, restent durs, prisonniers de leur entêtement d’écailles, jetables —

Cartes postales, vues érotiques :
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beautés_banales, escalator


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beauté d’un escalator, figé. celui-ci est intérieur. une manière de désapprivoiser le vertige. je m’arrête à mon tour. j’ai l’impression qu’il n’y a plus rien, que telle une boîte de conserve le monde s’est vidé. j’ai l’impression cependant d’en percevoir le bruit fantôme, le roulement de sommeil. je ne sais pas s’il va se remettre en marche et m’inviter à monter, ni vers quel endroit inconnu où peut-être l’on m’attend déjà. ou si à l’inverse, une personne va s’y présenter et en descendre, se dirigeant vers moi dans ce lent et continu mouvement sans effort, robotique, tournant à mesure son visage à mon endroit et bouleverser mon mode d’existence par sa carnation, son vêtir, la parole qu’elle va m’adresser. c’est un silence où toute projection se dilue, rien ne se passe qu’une contemplation basse, secondaire, la conscience qu’il devrait y avoir autre chose me remplit d’une joie à son tour mécanique, en pause ; de courte durée, et qui menace de s’inverser à la peine. suis-je le seul ? devant un dieu d’entrailles. de marque oracle. où plus personne ne se toise. depuis combien de temps. un cadran doré. tout cela se passe sans moi. je ne pense à aucun agencement, ni à la complexité fragile de l’ensemble. je me retrouve comme devant un cerf en soir de campagne, son regard couvrant le mien. où êtes-vous ?

précipité de l’été


souvenirs enchevêtrés d’instants inachevés

Aujour’nuit 

Je ne sais pas quel jour on est, je ne sais plus quelle heure il est.
Une petite panique, qui tourne à mon poignet.
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Nous sommes mardi. Enfin nous étions mardi. Ah ces jours, qui bougent sans cesse, dérapent.
Fin d’été. Je me promène au soir en n’écoutant que les bribes de musiques qui sortent des cafés tout le long du boulevard. Un long ruban de son qui bouge en même temps que moi.
Les gens devant les bars ont toujours quelque chose à dire. Ça fait des morceaux de phrases que je recompose, et puis que j’oublie. Ça m’aide à savoir qui je ne suis pas encore.
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Début juillet

J’avais envie de l’été, j’en voulais à mon été, j’avais l’impression d’avoir perdu mon être ou ma raison.
J’avais envie de me réveiller dans une maison endormie et de sortir dans le jardin écouter le silence, un silence rempli d’infra-sons voiler la sphère atmo, d’être écrasé par la chaleur et un demi-litre de sommeil.

Paris était laid vieux pluvieux triste, comme ne tournant pas rond, je regardais les photos de vacances d’inconnus, en espérant m’y voir passer. Je me sentais abandonné, je parlais à des avatars, je n’arrivais pas à me coucher.
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Juillet

Pendant que le France perd je ne sais quoi ni combien au foot, j’embrasse une inconnue, par hasard, dans une cabine de la grande roue du jardin des Tuileries, sans vertige.
Le reste du temps, j’essuie la pluie comme un chat trempé, un chat qui parlerait japonais dans ses rêves.
«Essayez donc de rester silencieux, pour voir»
Heureusement il y a ces deux trois moments par jour où je deviens une phrase même incomplète.
Un jour, je plaisante avec une femme que je croise dans la rue, désemparée, car elle en est à sa quatrième boulangerie à porte close. On rigole par-dessus, parce qu’il y a un truc triste par-dessous.

Et cette femme, encore sur le boulevard.
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Quinze Août

J’étais dehors, il faisait enfin beau, c’était agréable d’être, « dans l’air », pas du tout apprêté, livré en vrac, à déambuler comme un clochard de l’âme.
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C’est un ascenseur, c’est un magasin fermé pour l’été ou pour toujours.
Je marche si lentement, à regarder tous les détails, qu’ils vieillissent littéralement sous mes yeux ; je remonte le temps à force de lenteur.
Ma journée de soleil, à faire très lentement le tour de cette place, au rythme de l’astre, à attendre qu’arrive une éternelle retardataire en veste horizon.

Il pleut à la sortie du film, on fume une cigarette.
Petite iconographie érotique et portable d’un visage de jeune femme sous la pluie devant une affiche de cinéma.

Août s’étirant 

Le bar anglais est fermé, et tous les taxis sont libres. Il fait froid chez soi et je bois dans un gobelet en porcelaine froissée du scotch coupé d’eau. La voix et les réparties de Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil (où il pleut aussi beaucoup) me tiennent éveillé. Lauren « The Look » Bacall parle de Marcel Proust à Philip Marlowe, et puis disparaît. Il y a un moment que j’aime beaucoup, où Marlowe attend, pour reprendre sa filature d’un homme en face, en compagnie d’une jolie libraire à lunettes qui l’abrite un long moment en fermant sa boutique et en lui servant des whiskys. C’est un moment très court dans le film, mais dans ma tête, il s’éternise.
Une après-midi, je reste assez longtemps chez Picard surgelés, le vendeur était accueillant et avait l’air de s’ennuyer comme moi. On attend que la pluie cesse en bavardant.

Cette langueur, cette lassitude qui est une étreinte vide, un train vide ; le train des 3 heures du matin.
Prière d’insérer, sourires et smileys. Un jazz de peau qui flotte en silence.
Je symnole (je somnole en pensant à des symboles).
Je lis que Donizetti était capable d’écrire un opéra en une semaine, et plusieurs chansons «le temps que le riz cuise». Je me fais du riz et rien.

Un ami de retour de vacances m’offre une affiche du film Les Maîtresses de Dracula.
(«He Turned Innocent Beauty Into Unspeakable Horror»)
(traduction à ma sauce : il tourna l’horreur coupable en indicibles beautés)
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« Aimer son nom ». « Aimer son propre nom ». « Aimer son nom propre ». Enfin des trucs comme ça qui remplissent l’espace vacant du cerveau. Mais avec une base 100% vraie.

Je rêve d’une chose en avance, sans rien savoir, et qu’on m’annoncera effectivement le lendemain par téléphone.

Pendant que je dors, une serveuse de bar me tend, en échange d’une cigarette, un paquet de biscuits vide dont je peux lire la marque dans le sommeil, mais plus au réveil. Or, cette inscription était très importante.

Justement, moi qui lis toujours les emballages, parce que j’aime beaucoup cette forme de texte ;
je retiens par exemple: « œuf entier liquide pasteurisé ».
Je me répète la phrase, la formule, « œuf entier liquide pasteurisé ».

Quelqu’un me dit «je voyais le sacré cœur de mon lit».
Une autre phrase passe «peut-être que tu te fous de la poésie», à trois heures trente-sept du matin (je n’ai aucune mémoire des chiffres, mais je l’avais noté). 03:37, c’est une poétique en soi.

Il m’était resté heureusement quelques soirs pour dissiper la chaleur et la foudre,
faire fondre les contretemps, une distorsion des principes,
un tremblement de mains mélangées, les deux bras de la musique,
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pour apercevoir entre deux pulsations de lumière et de noir quelques beaux visages
experts en l’art de la construction de halos démesurés
à crier ce qu’ils avaient envie de se chuchoter.
IMG_3899De toute façon, il était trop tard,
et on se laissait des messages car on n’arrivait plus à se trouver dans la foule.
IMG_3933J’ai envie de fruits d’été, je n’en ai pas mangé assez.
Et voilà les fruits d’automne qui arrivent dans les supermarchés.
IMG_3923L’indifférence, l’indifférence. Je trouve que ça a presque quelque chose de mystique, cette indifférence.
Écrire quelque chose sur l’indifférence. Qui ne rencontrera qu’indifférence.

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«Filles des nombres d’or / Fortes des lois du ciel / Sur nous tombe et s’endort / Un dieu couleur de miel»
Paul Valéry

trompe-l’œil


Sauver la journée, par quelques lignes, parce que le réel n’a fait que décevoir, aveugler, décourager, par l’accumulation incessante de contrariétés même pas décisives, simplement par la petitesse, le décousu en toutes choses, comme si votre envie de bricoler était rendue impossible, du fait d’outils trop grands pour les pièces à manipuler.

Se déposer, à défaut de me reposer. Car je sais, que dans un double fond qui échappe à la vue, à la conscience, il y a un dépôt, secret, peut-être dérisoire, peut-être inestimable, qui se fait, qui s’escamote encore, une valise prête pour le jour où je la découvrirai.

Je suis sorti sur la rue à l’heure où les gens dînent, où les magasins ferment, il y avait cette pluie et quelques touristes trop peu vêtus, ils hésitaient en regardant les plaques, je me suis mis sous le store d’une joaillerie fermée (impossible d’y acheter un brillant, toujours vouloir acheter un brillant devant la grille fermée d’une bijouterie), je m’y suis mis pour regarder, être entre deux rues, regarder, je ne sais pas, il n’y avait pas grand chose, la pierre qui ne brille pas, quelques marcheurs, l’épicerie vide, la ville au ralenti ; et pendant quelques secondes, quelque chose, une impression très ancienne, est repassée dans ma zone de trouble, en suspension à hauteur de mes yeux comme un drône. J’ai pu la fixer un instant, la respirer seulement, il était impossible de faire appel aux mots ou aux images, je sentais que ça allait faire fuir encore plus vite la sensation. Il n’y avait rien à en dire, il fallait composer avec ce pauvre clignement, une apparition de rien, cette basse tension, cet impossible à dire, une ruine, ce genre de ruines dans lesquelles on déambule sans même d’abord le savoir et qu’on ne remarque qu’en en sortant, plutôt qu’on ne les admire de l’extérieur avant même d’oser y entrer.
Il me semble que la sensation était logée, vibrante, dans les coins de mon champ de vision, qu’elle en saturait les teintes, et qu’elle entrait en collision avec le souvenir de quelque chose qui lui ressemblait, comme deux calques approximatifs, à des années de distance.

J’ai toujours cette envie de me retourner, pour essayer de sauver quelque chose, entrevoir in extremis un visage derrière mon épaule, je cherche la coïncidence de l’occurrence unique, l’encore jamais meurtri, une patience de pierre, un tour de passe-passe, l’illusion incisive.


cobalt, dimanche cut


je retrouve de grandes plages muettes, tout le long de longs jours,
et que je parle ou pas n’y change rien, je traverse, atone, le contre-bal
alone sur le catwalk

ces moments, je suis comme entièrement fait de fictions que personne ne lit pendant longtemps (mais dont j’occupe moi toutes les travées avides)

mes cils battent en faisant des bruits de mouettes mécaniques, mes regards portent loin, vers ces cartes postales que personne ne lira, qui n’arrivent jamais

mes genoux se précipitent au sol, quelque chose comme toutes les deux heures, dans un fracas de terre sèche et sans âme

qu’on ne me demande pas ce que je veux, surtout, sous peine
rien n’étant assez

je tends mes poignets nus pour que les veines en saillent, pour qu’on me menotte, mais la rue est déserte
je ne croise personne
et je n’ai pas de ces vasistas depuis lesquels me pencher sur les toits bleuis en taches de pouces
suis-je le seul à entendre cette nachtmusik
bandes sonores scotchées de sons-silences à contre-basse

j’ai fait à nouveau de longs trajets en métro, de haut en bas, je ramène les visages chez eux, chacun avec son axe démis, pauvres réflexes,
c’est comme un diapason d’ennui qui vibre en les frôlant, une contre danse
(mais il y avait cette fille aux cheveux verts qui téléphonait « je rentre »)

de temps en temps, une rue, une rue courte, et vide,
une rue mineure, dans laquelle je voudrais rester, rester, rester
et y voir la lumière la peindre et la repeindre sans cesse

effort le suspens un rythme le coup d’archer

Un léger flou


j’étais chez l’ophtalmologiste. j’étais pile à l’heure, moi comme l’horloge de ce jour. j’ai remonté la rue, passant devant la villa italienne, l’Institut en travaux (dont j’ai aperçu la cantine où j’avais mangé, une seule fois, il y a bien longtemps, avec quelqu’un qui avait littéralement partagé son propre plateau-repas avec moi, sous l’œil suspicieux et même les remarques acerbes des employés). c’était la deuxième fois que j’allais en visite chez cette ophtalmologiste, j’ai reconnu l’endroit. dans la salle d’attente il y avait un homme avec des lunettes noires, mais c’est sa femme qui a consulté ; je n’aurais pas imaginé qu’ils étaient ensemble. elle ressemblait à un personnage de roman anglais. il s’est mis à regarder l’heure sans cesse une fois qu’elle fût partie avec le médecin, en soulevant son poignet nerveusement. je suis allé aux toilettes, j’avais bu trop d’eau. il y avait une baignoire et un bidet, placés en diagonale l’un de l’autre. j’ai essayé de ne pas faire de bruit car il y avait une porte commune avec le cabinet de consultation. l’endroit avait quelque chose de sinistre, avec une note comique dans les détails : le presque-rien, le propre-sale. ce carrelage rose. j’imaginai, un instant et avec une légère panique, que le médecin vienne me chercher dans la salle d’attente et que je n’y sois pas encore revenu. que se passerait-il. on me prendrait ma place. mais qui, personne, le type d’après n’était pas encore arrivé. il n’y avait pas de musique dans la salle d’attente. je n’ai pas non plus regardé les revues. je me souviens d’une fille qui allait chez le médecin en avance pour lire les magazines, et qui même laissait encore passer les gens avant elle. l’ophtalmologiste a regardé ma vue. elle faisait tourner sa table équipée d’appareils de mesure. des lettres et des distances, des centimètres. des reliefs. les lettres les plus petites qu’il fallait lire. il y avait à lire, en minuscules caractères, un texte de Descartes (« je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs… »). je devais regarder l’oreille droite de l’ophtalmologiste afin qu’elle regarde au fond de mon œil. elle a sorti un cristal d’un écrin pour regarder derrière le regard. comment est-ce, au fond de l’œil ? y a-t-il des sédiments, des plages, des fuseaux horaires ? peut-être a-t-elle lu toutes mes pensées, ramassées sur un galet, écrites en lettres minuscules. elle a testé les muscles des yeux. elle a sondé la tension de l’œil. trop élevée. à surveiller. elle m’auscultait avec ses gestes précis, calculés, presque économes. et je ne pouvais pas arrêter de penser : « la journée d’une ophtalmo ». et de penser qu’elle répétait et polissait ces gestes tout au long de sa journée. je me demandais à quel pourcentage elle était, à ce moment précis, elle, d’ophtalmologie, et du reste, inconnu. j’étais incapable de déceler, elle enchaînait, elle avait l’air secret que donne parfois la vitesse ou la parfaite régularité, impénétrable. impossible de dire son âge. j’épiais le cabas sous le bureau, à côté du sac à main, en me demandant. si elle avait fait des courses, si elle allait à la piscine ou faire du sport après sa journée de travail. j’ai regardé ses mains, elle n’avait pas d’alliance. j’ai senti l’odeur de la paume de sa main quand elle m’a caché un œil puis l’autre pour un exercice. je me demandais s’il était possible qu’elle me reconnaisse. nous nous voyions une fois par an. elle devait m’avoir oublié, elle m’a retrouvé sur sa fiche bristol. tout était assez clair, elle expliquait bien les choses. elle ne m’a pas proposé de thé ni de biscuits. je n’ai pas vu de boîte en fer-blanc. le dentiste, au moins, vous propose de l’eau, même si ce n’est que pour cracher. regarder le point blanc. la lumière verte. suivre son doigt. à un moment je ne voyais pas les lettres sur le tableau lumineux, il se trouva que c’étaient des chiffres. elle a légèrement revu ma correction de verres. elle faisait tourner sa table octogonale pour me placer devant les appareils auxquels je devais appuyer mon menton et mon front. des appareils de mesure qui me semblaient déjà un peu anciens, de science-fiction dépassée. elle changeait les petites lentilles de verre sur la monture-test, et peu à peu, je voyais mieux, un fin réglage s’opérait entre moi et le monde. pourtant, elle affirmait que cette différence était négligeable. je trouvai cette remarque étrange, presque déplacée, de sa part. en plein cœur de la précision, elle faisait l’éloge d’un flou léger. en me disant ça, sa paupière battait imperceptiblement, clin d’œil qui ne disait pas son nom.