comment où la vie le quinze août. le matin est à la renverse. c’est avant que tout ne re-bascule. le jour à une odeur, une odeur inverse. je suis seul. l’abandon agréable. nous sommes à la limite de cette très courte période de la ville où le silence est la loi. le silence de ces jours est scellé par une très légère rumeur qui le fait ressortir : celle d’une voiture qui roule en ligne. c’est une seule voiture, c’est un souffle de vent. la lumière est blanche, elle se pare d’or en toute fin de journée où elle va poser ses découpures sur les façades. si on sort on passe à côté de tout. je sors à la recherche d’une odeur d’essence. les vitres restent fermées. les boutiques ont des excuses à leurs portes ; on entend des bruits qu’habituellement on ne remarque pas. un bruit de caisse enregistreuse, un bruit de sabot, de scie circulaire. certains cherchent des amants avec toutes les peines du monde. ils ont ce besoin de crier par la nuit. parfois il ne reste que le désespoir, qui se promène, sans bruit, qui traque l’ombre autour du parc. c’est un peu le jour de ma naissance. c’est le jour où l’on aimerait être ailleurs. partout ailleurs le monde est bruyant, le monde est vacarme comme il se doit de l’être. ne soyez pas fous, ne soyez pas malades. observez tranquillement vos membres, laissez les tempéraments s’épancher à leur aise, sombrer vos évidences, s’évider les obscurités. la chaleur est bientôt passée. les vagues s’éloignent et vous pensez déjà quel dommage, les regrets vous étreignent déjà, toujours plus forts que tout avec leurs grands filets de pêche. je peux me passer du je, lui laisser un peu de laisse, lui lacher du lest. il n’est pas de grande utilité. c’est la saint-nostalgie : un mot dit dans la tête, une bribe de souvenir peut vous écorcher l’âme. c’est la petite existence qui prend toute sa grandeur. le destin du moindre. tant de lumière fait ressortir les spectres. je sens que je pourrais creuser, et découvrir quelque chose en moi. un monde, une porte qui n’était pas faite pour s’ouvrir. derrière laquelle un pantin qui m’attend depuis des années, qui ne fait que sourire, qui ne fait que souffrir.
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20160709 toboggan
je rêve (endormi) du mot toboggan. piétiné par des bottes en caoutchouc, roses, jaunes, bleues, claires comme un visage d’été. cette souffrance de parc criard pour enfants. je rêve (éveillé) de phrases qui soient libérées des verbes. je les écris, et je les relis comme on les lècherait. rêve de faire des trucs organiques aux choses, aux mots, que les pratiques soient désordonnées, écrire un poème avec une fourchette.
confronté à l’impossibilité d’écrire, il me semble cependant qu’il s’agit là d’écrire néanmoins, que c’est bien la même chose. la demi-seconde d’après, épouvante à nouveau devant la page verticale, l’écran est injecté de sang à force de me regarder, de regarder le vide dans mes yeux. même pas un billet de dix à me filer. juste un peu de sueur là et là. sueur dans l’œil de trop de vide.
il faut deux lignes vivantes qui sautent au visage, un seul mot nouveau qui annihile les paragraphes liquides et ces répétitions qui se veulent neuves mais ne font qu’ânonner.
l’été c’est quand les corps deviennent collants, ne trouvent pas de bonnes positions pour dormir, qu’il y a plus de bleu, que les odeurs sont plus mélangées, volatiles (« un mélange d’odeurs d’essence, de salon de coiffure, de mésange envolée : l’été »).
j’aime entendre le souffle de la ville rendue disponible. un temps de chansons désespérément gaies qui sortent des vitres des véhicules, de pailles dans l’œil. les sourires sont plus blessants, les gens plus nus. et moi, j’hésite davantage, dans les climatisations.
précipité de l’été
souvenirs enchevêtrés d’instants inachevés
Aujour’nuit
Je ne sais pas quel jour on est, je ne sais plus quelle heure il est.
Une petite panique, qui tourne à mon poignet.
Nous sommes mardi. Enfin nous étions mardi. Ah ces jours, qui bougent sans cesse, dérapent.
Fin d’été. Je me promène au soir en n’écoutant que les bribes de musiques qui sortent des cafés tout le long du boulevard. Un long ruban de son qui bouge en même temps que moi.
Les gens devant les bars ont toujours quelque chose à dire. Ça fait des morceaux de phrases que je recompose, et puis que j’oublie. Ça m’aide à savoir qui je ne suis pas encore.
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Début juillet
J’avais envie de l’été, j’en voulais à mon été, j’avais l’impression d’avoir perdu mon être ou ma raison.
J’avais envie de me réveiller dans une maison endormie et de sortir dans le jardin écouter le silence, un silence rempli d’infra-sons voiler la sphère atmo, d’être écrasé par la chaleur et un demi-litre de sommeil.
Paris était laid vieux pluvieux triste, comme ne tournant pas rond, je regardais les photos de vacances d’inconnus, en espérant m’y voir passer. Je me sentais abandonné, je parlais à des avatars, je n’arrivais pas à me coucher.
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Juillet
Pendant que le France perd je ne sais quoi ni combien au foot, j’embrasse une inconnue, par hasard, dans une cabine de la grande roue du jardin des Tuileries, sans vertige.
Le reste du temps, j’essuie la pluie comme un chat trempé, un chat qui parlerait japonais dans ses rêves.
«Essayez donc de rester silencieux, pour voir»
Heureusement il y a ces deux trois moments par jour où je deviens une phrase même incomplète.
Un jour, je plaisante avec une femme que je croise dans la rue, désemparée, car elle en est à sa quatrième boulangerie à porte close. On rigole par-dessus, parce qu’il y a un truc triste par-dessous.
Et cette femme, encore sur le boulevard.
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Quinze Août
J’étais dehors, il faisait enfin beau, c’était agréable d’être, « dans l’air », pas du tout apprêté, livré en vrac, à déambuler comme un clochard de l’âme.
C’est un ascenseur, c’est un magasin fermé pour l’été ou pour toujours.
Je marche si lentement, à regarder tous les détails, qu’ils vieillissent littéralement sous mes yeux ; je remonte le temps à force de lenteur.
Ma journée de soleil, à faire très lentement le tour de cette place, au rythme de l’astre, à attendre qu’arrive une éternelle retardataire en veste horizon.
Il pleut à la sortie du film, on fume une cigarette.
Petite iconographie érotique et portable d’un visage de jeune femme sous la pluie devant une affiche de cinéma.
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Août s’étirant
Le bar anglais est fermé, et tous les taxis sont libres. Il fait froid chez soi et je bois dans un gobelet en porcelaine froissée du scotch coupé d’eau. La voix et les réparties de Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil (où il pleut aussi beaucoup) me tiennent éveillé. Lauren « The Look » Bacall parle de Marcel Proust à Philip Marlowe, et puis disparaît. Il y a un moment que j’aime beaucoup, où Marlowe attend, pour reprendre sa filature d’un homme en face, en compagnie d’une jolie libraire à lunettes qui l’abrite un long moment en fermant sa boutique et en lui servant des whiskys. C’est un moment très court dans le film, mais dans ma tête, il s’éternise.
Une après-midi, je reste assez longtemps chez Picard surgelés, le vendeur était accueillant et avait l’air de s’ennuyer comme moi. On attend que la pluie cesse en bavardant.
Cette langueur, cette lassitude qui est une étreinte vide, un train vide ; le train des 3 heures du matin.
Prière d’insérer, sourires et smileys. Un jazz de peau qui flotte en silence.
Je symnole (je somnole en pensant à des symboles).
Je lis que Donizetti était capable d’écrire un opéra en une semaine, et plusieurs chansons «le temps que le riz cuise». Je me fais du riz et rien.
Un ami de retour de vacances m’offre une affiche du film Les Maîtresses de Dracula.
(«He Turned Innocent Beauty Into Unspeakable Horror»)
(traduction à ma sauce : il tourna l’horreur coupable en indicibles beautés)
« Aimer son nom ». « Aimer son propre nom ». « Aimer son nom propre ». Enfin des trucs comme ça qui remplissent l’espace vacant du cerveau. Mais avec une base 100% vraie.
Je rêve d’une chose en avance, sans rien savoir, et qu’on m’annoncera effectivement le lendemain par téléphone.
Pendant que je dors, une serveuse de bar me tend, en échange d’une cigarette, un paquet de biscuits vide dont je peux lire la marque dans le sommeil, mais plus au réveil. Or, cette inscription était très importante.
Justement, moi qui lis toujours les emballages, parce que j’aime beaucoup cette forme de texte ;
je retiens par exemple: « œuf entier liquide pasteurisé ».
Je me répète la phrase, la formule, « œuf entier liquide pasteurisé ».
Quelqu’un me dit «je voyais le sacré cœur de mon lit».
Une autre phrase passe «peut-être que tu te fous de la poésie», à trois heures trente-sept du matin (je n’ai aucune mémoire des chiffres, mais je l’avais noté). 03:37, c’est une poétique en soi.
Il m’était resté heureusement quelques soirs pour dissiper la chaleur et la foudre,
faire fondre les contretemps, une distorsion des principes,
un tremblement de mains mélangées, les deux bras de la musique,
pour apercevoir entre deux pulsations de lumière et de noir quelques beaux visages
experts en l’art de la construction de halos démesurés
à crier ce qu’ils avaient envie de se chuchoter.
De toute façon, il était trop tard,
et on se laissait des messages car on n’arrivait plus à se trouver dans la foule.
J’ai envie de fruits d’été, je n’en ai pas mangé assez.
Et voilà les fruits d’automne qui arrivent dans les supermarchés.
L’indifférence, l’indifférence. Je trouve que ça a presque quelque chose de mystique, cette indifférence.
Écrire quelque chose sur l’indifférence. Qui ne rencontrera qu’indifférence.
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«Filles des nombres d’or / Fortes des lois du ciel / Sur nous tombe et s’endort / Un dieu couleur de miel»
Paul Valéry