Voyagent / Ce qui traîne sur les lits


En pleine nuit, puisque c’est là que moi je suis, j’observe les gens voyager. Parfois, en quelques jours où j’ai peut-être à peine été faire deux ou trois courses, certains ont parcouru des milliers de kilomètres, et sont revenus à leur point de départ. Oui mais où vont-ils comme ça. Je pense à leurs photos, à leurs journées occupées. Je vois parfois, dans les regards qu’ils posent, qu’ils sont les mêmes qu’avant de partir. Certains changent, se laissent un peu là bas.
Je vois qui ils sont même quand je ne connais pas leurs visages. Il y a une Vénitienne de passage qui arpente, un vieux solitaire, une lectrice, une nageuse, une habituée des grands ensembles, un habitué des grands hôtels.
Je scrute les détails de leurs photographies, ce qui traîne sur les lits.
Ce qui traîne sur les lits. Dans les chambres d’hôtels, quittées toujours un peu vite car il faut libérer la chambre. L’effet impersonnel des effets personnels.
Parfois on reconnaît le même vêtement porté par quelqu’un qu’on a connu, ou à peu près, avec qui on a peut-être partagé une chambre d’hôtel un jour. C’était alors nous qui traînions sur les lits. Comme des chats pas tout à fait sauvages. Habillés seulement de bandes de lumière. Je regarde les photos des chambres et des lits. Certains ne sont pas encore défaits. Et pourtant bientôt ils seront ailleurs.
Et à part les preuves de ces voyages, on ne sait rien.

Des heures passent à attendre que la feuille de la journée soit feuilletée, froissée, déchirée. Certains se mouchent dedans et la jettent derrière l’épaule. Et nous ? Nous ne sommes rien ? Je ne sais pas, ni à qui poser cette question. Quand je me retourne, je me trouve être un loup suivi à distance par un agneau. On se regarde, on ne se décide pas, nous avons besoin l’un de l’autre. Et moi j’ai besoin de la nuit même si ça fiche un peu la vie en l’air mais c’est comme ça, c’est là que je soupire à l’aise. Je peux y accorder à l’ennui tout l’intérêt qu’il mérite.
Cela parce que j’ai toujours confusément l’impression que la journée me bafoue.
Plusieurs fois, je me lève pour regarder la lumière dehors à l’étage de l’immeuble en face à gauche en haut. En général, ça reste aussi allumé tard. Je ne vois que la lumière, je ne vois pas la personne. Belle lumière jaune d’œuf cuit, tombée de je ne sais quel abat-jour. Une belle histoire sans personnage superflu, sans parole, qui dure depuis des années. Dialogues de regards avec les lampadaires.

Une route étroite me porte vers le miroir de la salle de bain, ce grand classique dont on ne sait jamais comment il finit. Je regarde mon torse, plutôt que mon visage. Quelle besoin aurais-je de regarder mon visage, de tomber peut-être sur mes yeux fuyants, qui me fausseraient de toute façon compagnie. Où va cette veine qui descend le long du bras et qui dessine, peut-être, le reflux de ma volonté. Je me regarde le torse, le cou. En regardant suffisamment longtemps, on peut voir l’électricité.
Mode d’emploi de l’homme. Qu’est-ce que je rapporte (rien) et à qui ; quelle valeur. Le monde même absent me force à me poser cette question. Homme banal absent des regards et des lucarnes. Je regarde si l’eau ne suinte pas du tuyau qui vient d’être réparé. J’ai au poignet une marque rouge, et au verso, au-dessus de la paume, une marque blanche. J’ai posé ma montre qui s’arrêtera si je ne la porte pas dans les deux prochains jours. J’ai renversé de l’eau chaude sur le bois du bureau, qui dessine une carte, peut-être de l’Océanie car je ne sais pas quelle forme a l’Océanie.
À mesure que les heures déclinent, je tape plus fort sur mon clavier. Ainsi, je me tiens éveillé, je me tiens compagnie, ainsi le jour finira bien par arriver, comme les choses arrivent.

20160723


retourner bien vite au vrai travail. c’est-à-dire arracher méticuleusement les pétales de la fleur. ok tu as raté des jours, tu as simplement survécu au banal, au tragique de l’éloignement, à la violence qui fait les yeux doux. chaque réveil de cette quinzaine fut une dispense d’aimer, une excuse à ne pas être soi. mais dans la machine de mon corps, dans l’invisible monocorde en parallèle de l’enfouissement du soi, une sorte d’indocilité se nourrissait de mes propres failles et grandissait, pas encore fière mais humide de promesses, de gifles à gants blancs sur mes renoncements.
cette sorte de sève coulait en mes bras, visible à travers mes veines translucides. je demeurais ignoré de tous, c’était une raison de désespoir et une armure de nuits des temps, une condition nécessaire et vitale.
je voulais me déposséder des faims ordinaires. j’étais chez moi comprimé par les heures, véritable tyrannie que j’observais tout en me l’infligeant.
m’ennuyant terriblement, avec une intensité encore jamais atteinte, m’ennuyant de quelque chose que j’ignore, et qui me met hors de moi.

20160702 cerf, vidé


deux heures du matin après une journée entière à se taire, à ne faire que tourner la boule à facettes de l’ennui. j’étais absent trop longtemps hanté. encore aucun visage ne m’aura un peu désaccordé. je pousse le volume de la musique au maximum comme un besoin de respirer, respirer plus fort. le silence, ça se déchire. mais je n’ai pas la place pour de grandes enjambées. le plateau de jeu est trop étroit. quelques phrases d’adresse viennent à ma mémoire, enfin, à ma bouche plutôt, bouche sans mémoire ; de ne les avoir jamais prononcées. j’ai quelques visions nocturnes, tirées sur moi comme des flèches par je-ne-sais-qui-quelque-part, une rue de nuit dans Londres, une piste faite de planches le long d’une plage, des cerfs impassibles dans un bois, des souvenirs ivres, mais tout est trop fugace, pas suffisamment électrifié s’évanouissant.
j’aimerais moi aussi raconter les visions monstrueuses qui m’animent, les tourments, les cauchemars. mais je ne retiens que la blessure du banal. je regarde le sac par terre, sac vide, je regarde l’étagère toujours immobile et silencieuse. it. doesn’t. matter. ça recommence, quoi, je ne sais pas. l’heureusement dans la gorge, l’ange silencieux sur le morceau de verre coupé.

20151209 23+1


Je suis incapable de dire comment s’est écoulée cette journée, ce qu’il s’est passé. Comment je suis arrivé, par exemple, à l’heure de 23 heures. Et pourtant c’est bien l’heure que je lis maintenant, illuminée en chiffres rouges comme des clous de lumière plantés devant mes yeux qui n’en reviennent pas. Le banal gagne souvent la partie, et il a tous les droits de rejouer, sans fin. Un grand pouvoir (à lui opposer) : la poussée en désordre de phrases dans un grand arbitraire délivré du sens.
L’heure intéressante, c’est quand il est trop tard, quand il commence à être trop tard. Le sentiment d’un boyau étroit, le sentiment d’une sorte de gâchis. Tout me semble fragile, perdu, précieux. Je ne peux regarder autour de moi car il n’y a rien. Je suis dans ma chambre, rien n’a bougé. Je me suis levé sans y penser, j’ai juste suivi quelques automatismes, quelques impératifs. Dégageons l’impératif et que reste-t-il ? La marge de manœuvre me semble si fine, presque inexistante, particulaire. À travers mon esprit passent les ombres fantômes d’autres lieux. Que j’ignore, que j’imagine. Ce sont des ressources auxquelles je ne sais pas accéder. Des mirages qui me sont barrés. Du passé, de l’ailleurs. Définir sans précautions, dire ce qui est, ce qui passe. Même et surtout si c’est faux, ce sera vrai la seconde d’après. Car c’est la seconde d’après qui importe, pas les semaines ou les années.
Je suis toujours étonné de voir que la ville existe encore, en bas. Certains s’échangent des secrets. Longtemps, on ne me donne ni ne me demande de nouvelles. Comme si mon propre silence était une peinture toujours trop fraîche, intouchable. À portée pas de pierre assez dure pour briser le cristal. Je me coupe les mains sur les choses faciles. Plaisir de ne pas réfléchir, de se contredire. J’écoute, brisé de fatigue, une chanson immortelle qui a trente ans. C’est mon repeat paysage du soir. Quelque chose me dit qu’à cette heure-ci, la Joconde s’ennuie. C’est une heure qui ne correspond à rien, une musique de ville vide. Personne nulle part ne va rien vous demander.

j’ai vu


2015-0419_IMG_5587

Des lieux déserts semblent la seule préoccupation de la lumière, précise et déclinante. Cœurs d’emprunts recouverts d’une peau vierge. Un tracteur roule à grande vitesse sur une route de campagne. Ave maria sans paroles. Cela sans pensées aucunes, en traversant depuis le train des paysages sans histoires mêlés de hangars et de serres. Une mélodie volage pour seul fil de mémoire. Je ne sais plus quels sont les effets du vent. Des papiers sales font briller l’atmosphère. La clarté est insaisissable, je n’ai que des propositions malhonnêtes à me faire. Mon ventre gargouille sans que je ne puisse rien y faire. Sécuriser les âmes en peine, je lis ou entends cette phrase quelque part, l’œil indifférent.

poème déceptif /1


(exultoire)

-esthétique du sèche-cheveux
-j’en ai froissé, des lettres d’amour
-la confiance aveugle des moteurs
-vérité du papier-peint
-pressé, un klaxon
-beauté quasi disparue des boucheries
-forme parfaite des précipices
-le faux feulait
-impossibilité de fixer l’étincelle
-un équivalent aux télégrammes et aux soupirs
-bruit du bijou qui racle la surface
-j’ai passé le portique en sonnant
-edward g. robinson s’endort sur le fauteuil du club
-les images oui au frais dans le frigo
-couloir d’hôtel foutoir honnête
-je m’expose sous la lumière électrique
-une leçon de cosmétiques
-je connais par coeur l’oubli
-la vie des dessous, le vide des bureaux
-trop tard pour les sirènes
-c’est faux en sortant après le coin
-j’ai larmé le vin d’opale
-pas de message de nulle part en pleine nuit
-une marque de baiser qu’on ne trouve plus nulle part
-unn filmm noirr
-herbier des pensées
-la vérité sous le papier-peint
-les enfants du manège ont grandi

poème d’ennui /1

-encore seul chez moi à tenter de joindre deux trois idées tentatives mais personne ne répond
-tu avais dit que tu serais là à minuit de la minute précise
-ou bien plus jamais et tout refroidissait
-à la minute précise où tu jetterais ton manteau à tes pieds l’arme la pincée de sel
-la règle du jeu dans tous les gestes à prise rapide
-définitions imprécises enlever le papier d’emballage mettre la prise électrique charbon ardent
-je pense à l’été cette chaleur qui passait partout acides litres de citronnade
-la patience avec laquelle tu me parlais une langue que je ne connaissais pas
-je me laissais guider par seul l’accent, la langue de l’oeil et quelques pâles étincelles
-les choses belles dont je me foutais en rayon-gps autour de moi
-au fond du décor où j’évoluais chaque protagoniste avait sa vie propre rejointe à la nuit
-sur la banquette noire du bar ouvert la chaise longue la nuit courte le lit de cyprès
-je masquais les marques de ma présence
-comme le clandestin heureux qui existe peu mais bien
-ma seule présence c’était combien j’avais tenu telle main
-les expressions m’avaient quitté l’une après l’autre
-j’avais un lexique nouveau d’un seule poignée de mots prénoms
-pas trop d’histoires suivies mais marcher le long d’un ruban de boulevard les contenait toutes
-comme un blues déshabillé de faits
-une rame gravée d’une phrase dont l’eau efface le sens pour peu que la barque avance
-je voyageais sur les mensonges
-je te trouvais toutes les excuses, par terre ou sous des statues
-c’étaient de simples papillons de papier d’emballages à ramasser brillants
-brûlant à minuit au briquet la minute précieuse
-chemin défait dans l’eau froide
-dans la ville j’imagine quelqu’un lire derrière mon épaule
-le film que je ne vais pas voir préférant les passants
-et répéter les phrases du journal de la veille pour une pièce de théâtre à trois sous
-piano à cru
-avec la marque des dents destin au cou
-que font les gens quand ils ne sont pas là nageurs voleurs aéronautes
-ils regardent une lumière un peu moins vive à travers telle main
-je sais que tout ce que je dis est entre juste et faux
-et synchronisé à l’ancienne mode en morsure de vampire
-comme une faille au plafond pour romancier du présent et romans à ficelles
-cette absurde migraine de tout vouloir justifier
-je ne corrige pas je n’abrège pas
-j’avais besoin de toi comme de google
-j’adressais des marques de silence aux rues de la ville
-réunion de cous et de dos nus il y avait le temps de se perdre et de se trouver
-halo de fêtes et d’ennui dans les bosquets
2013-14035