Still The Water. Pendant la projection, cette sensation de transparence et d’irisations. Comme du linge qui sèche, du linge de couleurs qui sèche au soleil, par exemple. Différents filtres sur le monde. Gratitude pour ces films où il y a tant de choses à voir à la fois, un très large spectre, plans qui se vident et se remplissent comme notre œil, d’images complémentaires à ce qu’on voit, de leurs inverses, et de leurs fantômes. Grande profondeur liquide du film (et pas du tout à cause du motif de l’eau) où des courants multiples, plus ou moins visibles, se croisent, s’affrontent. Cela donne la grande richesse (fibres, sucres, sels minéraux, gras, etc.!) à l’œuvre. Par exemple, et par opposition, Tarantino, c’est une petite flaque dans laquelle tout le monde saute, ça fait du bruit et ça éclaboussote. Mais ça n’a (ni n’aura jamais) la force brute (et plus fermement silencieuse, à « ferments silencieux ») l’espèce de courant profond et puissant que peut avoir un tel film. Il a des défauts cependant, mais on peut s’en foutre, un de ces cas rares de films où les défauts sont outrepassés par les qualités et le génie manifeste de la mise en scène.*
Il y a ces plans à lignes de forces si variées, notamment grâce à des regards en déséquilibre, et dont parfois nous sommes seuls témoins des changements, contrairement aux autres personnages présents dans la scène. Et puis cette capacité à faire des plans que les personnages puissent habiter.
Première fois (ça devient rare, les premières fois au cinéma), je crois, que je vois l’au-delà représenté, mais vraiment, comme quelque chose auquel « croire », c’est-à-dire comme une réalité (physique, géographique, quoique étrange) et non pas comme une petite imagerie de principe, et représenté de manière si saisissante. On sait qu’on y est, on identifie instantanément, et pourtant, ce qu’on voit, c’est bien un paysage de la Terre. Mais dans l’instant, on sait que c’est la mort, donc l’endroit d’où parle la mère qui vient de partir. C’est extrêmement troublant d’avoir trouvé l’équivalent visuel de ça, d’autant plus que sans raccord, la cinéaste, dans le même plan, parvient à y adjoindre l’amour, la scène d’amour des deux adolescents, nus sur le sol.
L’agonie de la mère est une longue scène incroyable, époustouflante. à vitesses et émotions, rebondissements multiples. Et justement là, paradoxalement, c’est toute la vie bizarre qui passe, aussi bien la vie des personnages que celle du film, des acteurs, de cette organisation étrange qu’est un film.
Quels gestes sûrs, de la part de Naomi Kawase.
Still The Water, dont je viens d’apprendre que le titre original serait à traduire par « Deux fenêtres ».
*je lis justement par la suite un article sur internet, à propos de ce film, un de ces petits articles génériques et rachitiques, qui se suffit à lui-même, qui pourrait être plaqué sur tant de films, et toujours (et ne jamais) « marcher ». Le type ne voit pas le film, il le « pré-voit ». Ça me met dans une colère, mais une colère d’indifférence.