quand je pense à ces huit ou neuf crèmes vanillées que j’ai vues, l’autre soir, sur le comptoir verni de cette brasserie… je suis pris… d’une vive affection pour le souvenir que j’ai d’une cuisse un peu molle, tremblante, fébrile, mais que j’ai aimée, quoiqu’un peu mal (j’étais jeune, et je ne savais pas)… peut-être la première que j’ai touchée après m’être entraîné des années sur la mienne, cette vile pelure… je ne sais même plus le nom de cette femme de dix ans de plus que moi, qui me regardait avec un regard de pitié dormante.. ça ne me dérangeait pas, je mangeais chez elle, puis je couchais avec elle, presque tous les soirs pendant quelque temps. c’était en hiver, la nuit tout le temps. elle avait les volets toujours fermés, comme si elle avait honte de quelque chose, d’exister peut-être. c’est bien loin tout ça. elle me prenait la main et la posait sur sa cuisse un peu jaune, luisante sous le néon de la cuisine.
ces crèmes vanillées.. je marchais vite, ce ne fut qu’un éclat bref dans un coin de mon regard, mais quelle envie elles ont ravivée! si je m’écoutais, je m’engouffrerais dans le premier train de banlieue venu pour rejoindre à nouveau, pour un soir, son appartement. je suis sûr qu’elle habite toujours au même endroit, ce rez-de-chaussée de boîte à chaussures. elle ne serait même pas surprise de me voir. peut-être même qu’elle attend ça, mon retour, depuis toutes ces années. elle me sortirait un plat figé du réfrigérateur, elle attendrait que j’ai fini, et elle prendrait délicatement ma main, qu’elle poserait, une fois encore, sur sa cuisse.