les détectives privés de dessert


Le jour, ma tête est une cage à oiseau dont la porte est laissée ouverte (où est l’oiseau ?). Je me sens aussi volubile, fait rare, qu’usagé. J’ai des coups de fil à passer. L’air des coups de fil au passé. Je parle facilement, dans le noir, à deux personnes qui cherchent leur chemin, se sont trompées ; tout à coup dans le noir, je sais des choses, je suis comme un voyant. Il est un peu trop question, sur la frange silencieuse, de numéros de téléphone qu’on n’échangera pas. Il y a une installation faite de vent, et sur les murs, des poèmes pornos en 5 mots.
La nuit et le thé. Noter un peu n’importe quoi, pour en voir l’ombre. Ou une peau tomber. Les post-it sont d’un jaune trop pâle, avec ces adresses, ces codes.. Et ta folie de courtisane qui ne vient pas, sa peau d’échappement. Tranchant et doux le saxophone ; bien que pacifique un assaut. J’attends un peu cette somnolence qui dégivre. Je pense aux détectives privés. Privés de desserts. Le soir j’ai laissé éteinte la petite lampe de chevet que j’allume d’habitude quand je travaille, derrière moi. Qu’est-ce que ça change, ça change. L’assombrissement au travail. À trois heures du matin, un type en veste épaisse et casquette à oreilles rembourrées joue au foot dans la rue avec un balle toute blanche. Tiens, on a oublié la neige, et son cortège de murmures entrefermés. Pour tuer le temps l’arme est d’inventer.

heure de l’absente

je ne pouvais pas me coucher tôt, j’attendais deux heures du matin, tout le monde avait sombré, c’était l’heure où une moitié avait disparue et où l’autre n’était pas encore apparue, je pouvais être à peu près seul et penser à l’absente, qui savait recenser toutes mes hésitations en regardant les mouvements de balancier que faisait mon bras dans le vide.
je lui réservais cette heure-ci, c’est n’est pas parce que quelqu’un s’est retiré de votre vie qu’il ne continue pas à y jouer un rôle. mon existence n’était que bars vides d’heures creuses, je me traînais devant les quelques flippers qui restaient, je n’avais plus que des souvenirs brefs mais vivaces, une tache de soleil sur le capot des voitures faisait mon délice à me priver un peu de vue, j’empruntais des défilés byzantins et des idées creuses où coulait ma soif.
ainsi, à deux heures de la nuit, j’étais complètement disponible pour me laisser noyer. Unnea (c’est ainsi que par affectation je l’appelais) venait s’asseoir sur le bord de mon lit en y faisant un large creux. j’étais familier de sa grande blouse grise qui se confondait avec mes draps, de son sourire qui débordait un peu trop. elle parlait beaucoup, ce qui lui faisait pousser des mauvaises herbes entre les dents, que j’arrachais avec les miennes. elle me parlait de ce qu’elle avait vu durant la vingtaine d’heures qui précédait sa venue, en me maintenant sa main sur le cou, elle disait que les choses passaient ainsi de gorge à gorge. si bien qu’y apparaissait une marque persistante où l’on devinait la forme de sa main. je regardais son corps dont je percevais tous les mouvements, tous les axes, toutes les entrées, et à quel point elle était crue. ma peau se tendait de souvenirs pas encore secs. entre trois et quatre heures, j’étais pris d’un sommeil de façade. elle en profitait pour repartir en déclinant comme une heure lasse.

j’aime beaucoup ces petites abréviations…

j’aime beaucoup ces petites abréviations dont vous parsemez le courrier que vous m’envoyez, j’aime beaucoup lire vos lettres, cela vous le savez, je vous le répète sans cesse en vous fourrant ma langue dans l’oreille, cette charmante coquille. oui vos fautes d’orthographes me charment (pourtant ce qu’elles peuvent m’agacer, chez les autres!, mais ne faut-il pas aimer très fort quelque chose d’une personne pour la détester d’autant plus chez tous les autres ?), et ne serait-ce que de voir les fines lettres tracées par votre main, quoiqu’un peu frustes, je suis pris de ces petits frissons reconnaissables entre mille, et qui vous sont destinés comme les cent et mille dents d’une même scie. et ce que je peux aimer ouvrir l’enveloppe ! je déchire frénétiquement le papier et je crois vous entendre soupirer, comme vous le faites après que nous le fîmes, sur le vert émeraude de votre canapé.

mais, je dois bien l’avouer, je suis parfois gêné, quand je ne suis plus capable de déchiffrer vos phrases. vous êtes si pressée de m’écrire que vous abrégez tout sauf mes souffrances, vos lettres deviennent indécidables, codées, vous m’écrivez «je p. pr vos li.», ou encore «j’aimerais vous c. en tout dé. pendant que vs m’i. de votre f.», et je ne sais quoi penser, quoi comprendre, j’y passe des heures, le sens presque complet de ce que vous me dites m’échappe désormais. mais je garde intact l’espoir de vous revoir, pour obtenir des éclaircissements, je sais bien que nous ne nous sommes vus que très peu, les jours que nous traversons sont troubles, mais quelle merveille que cette heure passée en votre compagnie dans ce couloir mal éclairé, la dernière fois, ce couloir d’hôpital, certes, mais enfin, tout de même, malgré vos blessures, j’ai aimé caresser votre épaule luxée, sentir vos lèvres gonflées sur les miennes, comprendre à peine, déjà, ce que vous peiniez à articuler.