je ne sais plus comment faire, il faudrait que j’aille à rebours, pour remplir ces pages. les remplir de passé, car j’en ai en stock. maigre trésor qui n’intéresse que moi brièvement et encore puisque ce n’est pas si difficile mais j’ai toujours autre chose à faire, marcher par exemple sur le rebord qui mène d’aujourd’hui à demain. ou alors une chanson me détourne ce qui n’est pas la pire des choses. j’écoute attentivement les autres en perdant la trace de mes pensées. vers ma destinée. un titre un peu grave drama. j’écoute un accent italien dans une recette de cuisine. les carcasses sont fracassées pour faire une poudre rouge qui sera saupoudrée juste avant la dégustation. je bouge un peu car j’ai mal au dos, j’abandonne toute velléité d’expression ma voix est voilée. remarque que cela crée un effet un peu opératique. je prends le combiné pour occuper un peu la ligne. tiens lui, elle, ça fait longtemps. fait-il encore partie des gens infréquentables. ça sonne de l’autre côté. je dérange un spectre au moins, dans l’intervalle. je ne sais pas quoi dire à ces amis dont on doute. j’ai envie de dire, « retrouve moi sous l’escalier ». il en est de vieux désirs comme de la poussière qu’on secoue. sous l’escalier où je t’ai embrassée. mais dès que je serre entre mes bras, il y a comme un vacuum. nous voilà à nous reparler comme quinze ans en arrière. ne te penche pas trop. comme de vieux amis, sur une banquette, en contrebande. allons dîner, tu n’as pas changé. j’ai comme une envie de pleurer, pendant le blanc, comme on se regarde. on pense la même chose triste et belle. rattraper quelque chose au vol, un bout de temps. notre viande refroidit.
il faut que je fasse tout cet à rebours l’air de rien, oui.
Archives du Tag cage d’escalier
20170114 somnolente
j’ai pourtant bu un café ce soir mais le sommeil me gagne. je lis un peu. je baille. je me traîne, je suis penché vers la droite alors qu’habituellement c’est l’inverse, je crois ; une histoire de dos qui ploie. je voulais écrire ça, et ça, et en fait rien. une odeur de cigarette remonte par l’escalier. Like it is et Phoenix. je baille un peu le froid, le corps se rappelle qu’il existe. pas dans l’espace mais dans la proximité immédiate de moi. il doit y avoir une petite fête, et quelque part, et ma somnolence erratique vaincra.
20160330
Il y a probablement deux ou trois trucs que je peux libérer chaque jour. Sans même regarder ni devant ni derrière, sans forme de regret ou de souffrance. Il y a probablement deux ou trois choses intéressantes, je cherche le mot, pas choses, mais, enfin deux trois données plus ou moins brutes. Une petite structure simple, précise, quadrille, sans fonction que d’être. Sans fonction que d’être (je me répète ça).
Je pense soudain : « un siècle que je n’ai pas fait de lacets » (voilà par exemple une des faces du carré d’infini).
L’avantage d’être aussi peu lu, écouté, de glisser sur les indifférences : la possibilité sans fond de pouvoir tout dire et n’emporte quoi (surtout mais du bon).
Il m’importe de formuler les différents régimes que je porte en moi. Des apparences se saisissent et se dessaisissent.
J’entends, toutes les nuits, la petite fenêtre carrée dans la cage d’escalier, se claquer sur elle-même. Cela a son importance, son poids, dans la désertion programmée, dans ce couloir désert.
dimanches sas
Trouver quelque chose, par hasard, qui touchera l’âme de celui qui le lira. Une seule personne, inconnue. Comme V., aujourd’hui. Sur le drap qui claque apparaît son visage en projection, sa mâchoire tendue. Espérer la faire sourire. Prodige des distances. Penser à un dimanche d’il y a quinze ans, être traversé par les mêmes états, à l’identique. Les états du silence des dimanches soirs. Nous aimions ça. Nous retrouver, puis nous laisser seuls, tard. Aller de pleine nuit à la station-service, La station-service est un cinéma ouvert de nuit. Acheter confiseries industrielles, retrouver l’homme qui nous encaissait, sans dire un mot. Les coups de piano, après, dans un appartement voisin, en pleine nuit. Plus rarement, rouler dans une voiture avec quelqu’un en fumant. Feuilleter des magazines qu’on connaissait par cœur. Une revue de cinéma, un magazine de mode, un roman policier bon marché, un livre de cul, sacré. Tout était si matériel alors. Tout était symbole à saisir avec les mains. Qualité particulière de silence de la ville, ces nuits-là. Les quais sans circulation. Pas de différences entre dedans et dehors, élastiques. Un film en cassette de plastique gris ; ou programmé en pleine nuit, synchrone avec nos veilles. Marcher dans le quartier des immeubles déserts. Aller voir un ami qui ne sort pas de chez lui. La cage d’escalier, avec toujours cette tenace odeur de purée de légumes. Les choses, dans le désordre. La voisine, rentrée se coucher. Je l’ai entendue dans les escaliers quelques heures avant. Elle n’est pas passée. Elle se lève tôt le lundi matin ; elle passera dans l’après-midi après ses cours. Je lui sers un verre de lait, elle se déshabille. On trouvait toujours quelque chose à faire de soi. La nuit était quelque chose de vivant, qui changeait sans cesse. Ça montait du sol, aucune préoccupation du légitime. À un moment, le son racole, change de trottoir. Nous avons les traits tirés, on parle de moins en moins, le sommeil nous rappelle à son ordre. On se déçoit pour quelques heures.
postales
j’ai en face de moi une carte postale en relief, d’un œil qui cligne à l’infini — tant qu’on le regarde en balançant un peu la tête. tant qu’on regarde, tout cela tient.
comme une soucoupe tient ensemble toute la succession des tasses et tous les après-midi d’hiver —
l’ébrèchement, c’est ta lèvre qui tremble —
je reviens de quinze jours ailleurs et depuis hier je m’active à faire le vide, j’ai besoin que les heures me passent sur le corps. je me secoue de la poussière comme un corps se réveille dans un film d’épouvante, sortant d’un buisson ou d’un tas de feuilles mortes où il a dormi cent ans.
j’ai senti différentes épaisseurs d’une chevelure, dans une cage d’escalier entièrement plongée dans une gelée noire. mais, était-ce bien cela ? Ou l’indécence à fils perdus d’un tableau électrique ?
je voudrais manger de la peau d’oignon — car c’est un signe de génie —
comme je ne peux pas prendre le monde dans mes bras, ils restent ballants —
et les avocats, dans la panière à fruits de fer rouge, restent durs, prisonniers de leur entêtement d’écailles, jetables —
une tenue
Me revient le parfum de la fille de dimanche. Accroché au pull en laine bleu superclair. Sa tenue, pendant qu’on marchait à côté l’un de l’autre. Dressée. Sa jupe en velours noir est d’une longueur incertaine, hésitante. Ce genre de personnes dont les paroles les plus capitales sont tues. Les couleurs qu’elle portait, la ceinture en cuir à la boucle chromée, rutilante, dispersant sa lumière en cinq rayons parfaitement étoilés, et qui contrastait avec sa mine pâle, et les teintes caramel de son sac, de ses joues. Nous visitions une exposition en nocturne, il y avait très peu de monde, des gens qui clignaient des yeux. C’étaient de vastes plateformes ou plateaux, tour à tour sombres et soudain noyés de lumière blanche et crue, des paysages d’installations. Noirs, blancs, noirs, blancs. Il y avait aussi un énorme labyrinthe suspendu, réalisé en scotch, à l’intérieur duquel vous pouviez vous promener à quatre pattes ; des dizaines et des dizaines de kilomètres de scotch à plusieurs mètres de hauteur sur une surface de plusieurs dizaines de mètres.
Pendant qu’elle serpentait dans ce long tunnel translucide, elle m’avait confié ses vêtements. Elle s’était déshabillée sommairement et m’avait laissé ses affaires. C’était chaud et encombrant, je me promenais avec un pull, une paire de chaussures et un manteau vides dans les bras. En même temps, elle évoluait, parallèle, juste au-dessus de ma tête. C’était comme si je la saisissais, la tenais contre moi, mais sans elle, sans son corps ; elle semblait s’être volatilisée de mon étreinte, tout en s’étant matérialisée quelques mètres plus haut. Je n’avais plus que ses restes, ses reliques. Seul son parfum s’en dégageait. C’était une odeur entêtante, et que je n’arrivais pas à cerner, qui semblait faire le tour de mon propre corps sans cesse, me colonisant. Je devais la connaître d’ailleurs. Bride éternelle et illusoire.
Je l’entendais ramper au-dessus de moi dans le cocon suspendu, j’entendais le bruit de sa progression, je levais la tête vers elle, vers son ventre, comme si elle était un insecte vu d’en-dessous, et je voyais sa forme floue à travers le scotch qui bougeait, c’était un peu comme mes pensées.
Un peu plus tard, c’est nous qui étions des filaments, errant dans l’immensité d’un palais en béton, montant et descendant des escaliers parmi des bandes-sons peu adaptées à la situation, bandes-sons où des gens toussaient, pleuraient. Était surtout diffusé en boucle un fragment d’une chanson de Sinatra, mais réduite à l’essentiel, comme étirée et légèrement ralentie, oui, réduite à trois mots: « night and day, day and night, night and day, day and night, night and day and night »… jusqu’à l’obsession ; on l’entendait de partout, sans savoir même d’où elle provenait. On aurait dit le disque rayé, lassé, d’une fête que tout le monde a abandonnée précipitamment, ne tournant plus pour personne, n’énonçant plus que l’alternance des jours et des nuits.
Je lui avais rendu ses affaires, les métadonnées de son parfum se diffusaient encore. Message atomisé, en quelque sorte. Je détestais Sinatra, mais je l’aimais haché ainsi, nous poursuivant, semblant ne jamais vouloir s’arrêter de répéter « night and day, day and night », comme si nous allions à jamais piétiner cette chanson dans un dimanche perpétuel.
J’avais l’impression cotonneuse qu’on ne sortirait jamais d’ici, de ce palais de naufrage ; qu’il y aurait toujours quelque nouvelle plateforme de béton ou de scotch à conquérir et d’où à nouveau, tout se reconfigurerait, d’où toute la vue, toute la vie même, serait différente, rafraîchie par chacun de nos clins d’œil sibyllins.
Mais l’ennui qui menace était trop grand : c’est dimanche soir, et les amusements, les insouciances se font rares. Même les palais ferment ; et elle a cette politesse extrême de disparaître de la fable dès qu’elle a remis son manteau.
Et moi, mélangé comme en cent, avec son âme d’hiver, je n’avais plus rien, rien que le squelette de cette chanson en tête, « night and day, day and night, night and day. »
quelques heures (dans quelques états)
Je ne fais pas, je ne sais rien, traîne-fatigue, corps lourd et sans détente, les états du corps décident pour moi de l’angle d’ouverture de l’éventail derrière lequel je regarde. Il faudrait collationner, lister, effectuer les relevés les plus précis possible de ces états, et observer ce que ça dessinerait comme figure sur le temps plus long de l’éventail ouvert. Mais l’idée courte suffit, comme souvent, et je peux aller voir ailleurs.
J’attends la vague inverse du demain, et je m’endors en conduisant un train.
Quelques heures après, je passe à travers un petit comité, je me demande un peu ce que je fais là, et je repars à la première occasion, retournant à la pluie, incessante, bruyante, décidée, contrairement à moi. Toujours mal à l’aise dans ces ambiances cool.
Mais des gens rient, dans les escaliers. C’est comme un truc vital et lointain. Je réponds, comme si je parlais de moi, mais ils ne peuvent pas entendre et on ne se connaît pas. Prototype singe d’un échange minimal.
Quelques heures après, j’erre dans un grand magasin, rayon bagages. Ça me fait penser à une histoire, à l’histoire d’un type qui passerait son temps dans les rayons des bagages, mais qui ne partirait jamais en voyage.
Quelques heures après, je bois des cocktails (tequila, maraschino, rhums, triple sec, citrons, regrets de barman), et c’est aussi avaler l’esprit de la ville, les histoires mélangées qu’on voit passer derrière les vitres d’un bar. Car parfois la teinte de la ville est belle et vaut tous les mots.
On est là, c’est le soir, à partager du temps, on mesure le temps comme ça, parfois au fil du verre, parfois ébréché.
Mais, d’autre part et ailleurs, si le mot ‘partage’ s’étale partout, c’est en niant ou dévorant sa propre signification : car il me semble bien que le système de concurrence fait rage en tous lieux et dans tous les cerveaux, sans même souvent qu’on ne s’en rende compte ; et ça pourrait en devenir une discipline olympique.
Quelques heures après, je fais enfin un grand rêve transparent, je déambule dans les couloirs énormes et orangés d’un grand hôtel-restaurant très luxueux, et un type que je ne connais pas partage son assiette avec moi (pas exclu que ce soit moi qui me serve, mais il laisse de bon cœur). Cela fait partie des Rêves à Grands Endroits Labyrinthiques et Agréables. C’est silencieux comme de beaux tapis.
En même temps, j’aimais bien quand je rêvais de phrases, de longues phrases cahotiques (chaotiques?) dont je me servais le jour qui suivait, et on ne me comprenait rien.
J’écris (sur moi) les yeux fermés, mais je n’ose pas ouvrir le coffre aux déceptions. J’aimerais être dans ces hôtels-espaces du rêve, où je peux vagabonder sans rien savoir, sans m’étonner de rien, si ce n’est à l’instant du réveil, temps affectif. Je voudrais me cacher, n’avoir rien à dire, rien à faire, juste lire et écrire, me laisser manger par le silence alentour et remplir mes yeux d’étoiles absentes, me soustraire à tous les devoirs et à tous les regards.
Je pense à ces dimanches où nous n’étions rien, où la ville nous entourait de sa brume, où nous n’étions rien ou pas grand chose.
Alors je fais comme si le jour c’est la nuit, et que je suis le seul éveillé.