j’ai vu


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Des lieux déserts semblent la seule préoccupation de la lumière, précise et déclinante. Cœurs d’emprunts recouverts d’une peau vierge. Un tracteur roule à grande vitesse sur une route de campagne. Ave maria sans paroles. Cela sans pensées aucunes, en traversant depuis le train des paysages sans histoires mêlés de hangars et de serres. Une mélodie volage pour seul fil de mémoire. Je ne sais plus quels sont les effets du vent. Des papiers sales font briller l’atmosphère. La clarté est insaisissable, je n’ai que des propositions malhonnêtes à me faire. Mon ventre gargouille sans que je ne puisse rien y faire. Sécuriser les âmes en peine, je lis ou entends cette phrase quelque part, l’œil indifférent.

rouge au hasard


je lui tends mon briquet – et c’est toute une indécision qui se pare
il y a toute la nuit dans ce briquet en plastique – l’envers de la nuit peut-être
son visage est dévoré par les bords — je n’attends plus que ses mensonges — accoudé où ça fait le mal
j’ai l’impression qu’il est beaucoup plus tard — est-ce parce que rougissent des joues aux hasards
faisant circuler un ordre revolté contre la beauté ?
je ne veux rien savoir de son sourire épine
son cheveu dans l’œil c’est le dernier véhicule l’astre qui flamme
c’est l’heure où ce qui emporte n’est pas ce qui importe –
roulent des confusions – on nous prend pour un autre – des mains aggravent les situations
on prend les mauvaises voitures les mauvaises décisions – tranchant coupable – perfusions –
l’émotion est une voie de garage ; fatiguée
des rings fins tissés autour de nous définissent l’humeur pâle dont se modèlent les figures
c’est déjà la jade heure où je me retrouve seul – je marche en cercles concentriques s’obscurcissant –
jusqu’à apercevoir, de dos, des saisons premières, des suicides d’instants – à chaque étincelle
un déshabillement —

phrases autonomes


je m’étais endormi en regardant les yeux
une sorte d’attente sans objet
une attente A
et chaque soir par les airs m’arrivait toujours le même message
«dormez bien» ;

j’hésitais quant à
l’expéditrice
que j’appelais aussi l’exécutante
message simple mais doublé d’un mystère
qui était-elle, et que voulait-elle ? dire ?

«les reines adorent l’onde»,
une phrase dans un journal que j’avais retenue
qui se surexposait à tout le reste
je n’en avais plus le contexte, mais l’usage hasardeux
quand je ne savais quoi dire ;

il y avait des sens à manger de toutes parts
et je n’arrêtais pas de sortir les griffes ;
à chaque passage piéton je me disais:
«je n’ai jamais vu de cerf»
mais trop de choses, derrière leurs vitrines, arrivent ou pas,
gélules à espoirs faibles dans des blisters ;

ces phrases parlaient d’elles-mêmes, sans contrôle, elles se disaient toutes seules
sans dates de phrases d’achats
sans l’aide d’aucune bouche ni mode d’émoi

blush sans maîtrise
par l’air m’arrivait l’air d’un cerf qui respire
et des automatismes de sangs froids

merry-go-round


pour Jacques Rivette

pardon je répondais
à une jeune femme
au téléphone
je notais son adresse,
en même temps que la tonalité
de sa voix
vengeresse
vaporeuse
telle une branche d’arbre
détachée de tout
humide
qui frappe pourtant des visages dans la nuit

un automatisme me portrait
vers elle
en pommeau de canne
prêt à verser sur son ventre des solutions salines  Lire la suite

tout est vrai


Il y avait des rues désertes et des rues pleines. Mais Paris me semblait vide, j’ai eu plusieurs fois cette impression ces derniers temps. Sinon vide, très ralentie, cathédrale. Je ne sais pas, question de moments, de carrefours.
Peut-être que quelqu’un n’a pas encore joué son coup.
J’ai trouvé que les mannequins étaient un peu tristes dans leurs vitrines, je ne sais pas, question de circonstances d’un premier jour de soleil. Le soleil porte toujours déjà la trace de sa disparition. Et peut-être avaient-ils tout simplement envie de sortir à la lumière. Il y avait beaucoup de robes, j’ai remarqué les robes en premier, bien avant l’air des mannequins dont j’aime toujours le beau visage plastique. Il y a tant à écrire sur les robes. Mais cela, pour commencer : les bruits multiples des robes.

Dans une galerie. Un homme perplexe devant un tableau se demandait à quel moment les personnages allaient y entrer pour y figurer. Il regardait et disait à voix mi-basse, désarçonné : « les personnages, où sont les personnages ? »
Il ne savait pas que je l’entendais, ou bien s’en foutait, ou il savait que j’allais réutiliser sa phrase.

Moi aussi, j’étais dans cette même galerie, et une femme est venue me serrer la main. C’était la peintre, elle aimait comment je regardais ses tableaux. On s’est observés pendant quelques minutes, j’ai essayé de la voir comme à l’instant je regardais ses peintures. Du reste elle portait un parfait maquillage, avec de beaux yeux de peintre qui imaginent tout. Pendant qu’on se dévisageait, les tableaux nous regardaient nous taire.
Il y avait aussi d’autres tableaux, très noirs : des femmes en robes sombres, et toujours de dos. Vraiment.

Me revient quelque chose que j’ai entendu, aussi. À une terrasse de café, je crois ? Ça me paraît quand même un peu bizarre. Ou alors c’était dans un rêve, franchement, là, je ne sais plus du tout. Mais je vois bien ces deux types. Ils parlent d’avocats aveugles dont les réunions se passent dans le noir. Il y a des sous-entendus qui m’échappent.

Je me sens comme soulagé de vidéos que je n’aurais pas regardées (sentiment un peu confus, mais c’est ainsi) ; à la place j’ai regardé des photographies de Robert Walser.
J’aimerais bien avoir le portrait de Robert Walser peint sur un oeuf.

J’imagine et envisage d’écrire une « Histoire du Cinéma les Yeux Fermés ».