20170320 aletheia


juste écrire « litanie ». en faire un mot vide. les mots sont trop plein, plein d’un sens dont nous ne savons pas que nous n’en voulons pas. je veux chaque jour un mot de quatre lettres vide sur un mur vide. je commence la journée avec un oubli, l’oubli de ce que je voulais noter, il y a quelques minutes à peine. je pense que ça me reviendra, peut-être ; car nous sommes lundi. se dire le lundi « nous sommes déjà lundi », c’est un problème. mais dans quel cerveau vis-je. vis-je quoi d’ailleurs. je veux dérégler le temps dans mes phrases. je n’y aurais pas mis de moteur.

aux et demie des heures. le nombre de choses qui peuvent venir à l’esprit lorsqu’on se tient simplement quelques minutes devant la fenêtre ouverte, et de la musique en oxydation. les corpulences des gens qui marchent dans la rue. il y a du vent que je sens entrer à l’intérieur.
un enfant en face fait bouger les rideaux. il apparaît, suivi de près par sa mère. en face de moi pour des années, et si étrangers. entourés de vitres et à jamais.

avril


qu’est-ce que j’ai fichu, où ai-je mis mes clés, mes affaires, mes préoccupations. j’écris un peu de tout et surtout n’importe quoi dans des carnets de petite taille que je perds, que j’oublie. parfois un peu volontairement, hop, derrière un fourré. j’entends des plaintes perceptibles de moi seul. je suis pensionnaire libre de ces parcs d’après-midi. je signe avec la paille d’un cocktail et le peu d’encre d’alcool qui s’y trouve, sur des tables de bistrots où tu ne viens pas. allez soyons honnête, je ne sais même pas à qui je parle, à moi-même, collectionneur de reflets. j’aime les portes en verre, les battants, les œillades songeuses derrière l’acétate des porteuses de lunettes. tout à coup le pianiste devient lyrique en frappant ses douze notes à dix doigts. je suis le seul à le remarquer. il pense à une fille précise et absente. dans ma tête, je monte le son, je joue la pièce au soleil. les gens sont aveuglés par la lumière de printemps, ils ne me voient pas quand ils passent à mes côtés. des hommes consistants recueillent les suffrages en disant des énormités, je les écoute, j’ai cette passion pour la chose parlée quand elle ne me concerne pas. oui comme des paroles en plomb et en l’air ; ils ont cet aplomb qui m’échappe, et j’ai les oreilles sensibles. le plus souvent, je ne réponds pas à ceux qui m’ignorent, le monde va comme ça, indifférent comme un sous-sol de supermarché. dans la soirée, une fatigue vient me soulager, et moi-même, par fatigue, je ne soulève jamais aucun grand mot.

20160116


J’ai beau le retourner comme un gant j’ai le cœur vide, on dirait le porte-monnaie d’un sans le sou, cuir rouge percé qui fuit sans cesse.
J’ai toujours rêvé sur ce titre, « Vita nova ». Un titre parfait, d’un livre parfait toujours à imaginer.
L’après-midi est une brèche fantastique où tout est encore, et encore, possible, suspendu.

20151212 « discrète, mais remarquable »


En avançant dans une après-midi déjà déclinante, en marchant dans ces deux rues, dans cette lumière de retour, je sombre très lentement, je me fonds plutôt, dans une sorte de nostalgie un peu précaire, plus forte que les mots. Je ne sais pas ce que c’est, une sorte d’enveloppement de la lumière, un filtre particulier, qui concerne les plus silencieuses artères des vies. Je me retrouve transporté par d’infimes stimulations. Une vitrine éclairée, le mobilier à l’intérieur derrière la vitrine, avec sa couleur de vieux bois mat et mielleux, me téléporte vers des décors, des scènes, pourtant si peu significatives, à peine entraperçues ; mais qui se sont imprimées, tout à mon insu, dans mon répertoire. Comme si les yeux se posaient enfin, vingt ans plus tard, sur telle chose déjà (à peine) croisée ; la révélant enfin. Mais des choses anodines, dénuées d’histoires ou de visages, de personnes. Des matériaux. Mais les matériaux c’est mystérieux. Des matériaux et leurs immatériaux correspondants. Des sortes de transports, en somme ; des machins à remonter le temps. Je retrouve l’odeur de la javel qui sèche, des carottes qui finissent de cuire, une ceinture de cuir qu’on desserre. Quelque chose d’inoxydable mais bref, une pulvérisation.
C’est aussi cette sensation brutale du jour qui s’évanouit, qui vous abandonne, qui se retire à jamais de vous. Une peau tombe et dessous qu’y aura-t-il ; encore moi ? J’ai rendez-vous, je suis en retard, je ne sais pas comment y aller, comment faire, ce qui va se passer. Quoi dire. Je cherche déjà à fuir de mes propres réponses alors qu’on ne m’a encore posé aucune question.
Plus je marche vite, plus le sang bat, plus mon visage s’agite ou se transforme. J’aperçois une femme immobile dans sa boutique de tentures vermillon, qui fixe les passants. De quand date son dernier mouvement. Son dernier mouvement de tête date peut-être d’il y a vingt ans. Elle bouge à ma vue. Ce qui compte, c’est qu’elle s’éloigne et qu’elle s’approche. Qu’elle m’adresse de brefs coups de regards qui me transpercent. En dépit du monde, des codes, de toutes ces choses non dites, nous sommes ensemble mais chacun de notre côté sous l’aile de cette incertitude encore de ce qui pour chacun se passera, dans une éclat de connivence floue.

dans la file d’attente


Il y a la poésie. et il y a la technique. Je les vois, toutes les deux, se toisant, parfois se rapprochant. Des ondes sont perceptibles entre elles. À la pharmacie tout est trop lent. J’attends, je détaille l’innombrable. L’innombrable catalogue des remèdes en étalage. On passe à la caisse l’un après l’autre, la déesse confidentialité est respectée. La déesse gravité aussi, on parle généralement un ton plus bas qu’ailleurs. Chacun achète une solution provisoire à une question d’existence concrète, de subsistance.
Derrière moi, il y a deux femmes âgées qui parlent de leurs onguents, crèmes, breuvages, comme elles le feraient de confitures, du bout des lèvres qui tremblent un peu, parce que c’est bon, parce que ça colle. Mais elles ont entendu hier soir à la télévision que « les gels douches étaient pour la plupart nocifs ». On sent une inquiétude. Je pense à la fascination, enfant, pour ces corps, évoqués à la télé, dont le cœur était monté à l’envers, c’est-à-dire à droite. Sans en être conscient je m’émerveillais de l’extraordinaire, de la rareté. Invisible, qui plus est. En avais-je croisé, de ces êtres ? Est-ce que cela se voit à l’extérieur, sur le visage, le bizarre intérieur ? Je repense à Freaks, que je n’ai pas revu depuis trop longtemps. Probablement un des films les plus fous jamais réalisés (et je pense à cette poignée de choses devenues si importantes de les avoir vues trop tôt). La fascination pour ces corps hors-norme, dont on s’effraie, dont on s’éprend. Est-ce cela, aimer. S’imaginer leur présence réelle, les toucher, être touché. Une sorte de dépassement. À l’œuvre dans tout le film, si je me souviens. Il ne s’agit pas toujours de souffrir ou de soigner, il y a autre chose. Parfois la patience, parfois l’impatience. Parfois se rapprochant. Il y a l’innocence des monstres, il y a des monstres d’innocence ; il y a la mâchoire du banal qui toujours te broie. Mais voilà que les commandes de médicaments l’une après l’autre descendent jusqu’aux caisses par des petits toboggans, actionnés par des êtres invisibles dans les étages.

2015-1207_pharmacie

20151206 vaguer


Facelib
Je passe à travers facebook, qui ne me sert à rien, comme à travers une passoire. C’est une sorte de terrain vague, désert, sans interactions, une sorte de musée vide, étroit et inerte. Je m’amuse, cette nuit, à aller de profils non-amis à d’autres, ad libitum, comme si on pouvait voyager sans conséquence d’un visage d’un pays à l’autre. Souvent, c’est une impasse car la personne masque son réseau d’amis, alors je reviens en arrière, et je saute sur une autre case. Étrangement, je tombe parfois sur quelqu’un qui a une relation en commun avec moi (qui en ait pourtant très peu), ça doit être une loi ou une poétique des algorithmes. Je me demande si des gens vont ainsi au hasard faire des commentaires à des inconnus, c’est très tentant, des tas de boîtes de commentaires n’attendent que ça. Affaire à suivre. Je ne m’attarde pas trop, non, je ne veux pas. Je veux juste « marcher », croiser un visage, lire un nom, comme on lirait le nom des villages qu’on traverse en voiture, aveuglé parfois par le noir aux fenêtres, j’essaie de m’éloigner de moi en cliquant sur la tête des autres.

Scarborough
Plus tard, j’ai eu rendez-vous avec une jeune femme sur la google map d’une plage de la côte anglaise. À Scarborough. Il faisait beau sec et froid, nous nous sommes promenés devant les vagues en bavardant longtemps. Puis nous sommes allés nous réchauffer devant un thé brûlant, agrémenté peu après d’un alcool de prune ancien au nom imprononçable. Le décor qui nous entourait, d’un bois sombre, nous portait aux confidences, et sans retenue. Il assombrissait aussi nos visages, au fil de la descente du jour qui tombait sur nos cuisses. À mal voir, nos visages se heurtaient dans la pénombre, ce qui créait le contraste idéal d’avec la clarté révolue de l’après-midi.

le cahier des décembres


Le cahier des décembres. Des désespoirs accompagnés de joie. Moins de ces journées qui s’effacent toutes seules. Encore plus de matins, d’après-midi, de soirs. Où mes yeux se posent, choisir mieux ce rebord. Le moteur deux temps de la frustration. Le terrassement, et puis l’énergie inattendue du détachement. Pensée-moteur. Ce qu’on appelle une « vision de l’existence ». Je me détourne de ma propre attention, je cherche le moyen de tuer l’attente, je parle de moi en sous-vide. Les phrases, les mots, étaient des feux-avant, désormais aussi des feux-arrière.
Traverser la langue en dehors des clous.
Je pense au prisme de silence, d’une extrême finesse, qui se loge au centre de l’écoute, de l’oubli, de l’absence, de la parole. J’aime lui tourner autour, sentir son énergie pulsée. Ce sont des influx semi-muets qui se manifestent, perçant le corps de l’atmosphère. Et c’est dans cette brèche qu’une brusque lucidité se pose comme une main fraîche sur le visage, sur le regard.

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