chacune de nos entrevues était un événement, nous en avions décidé ainsi, nous ne savions pas quelle serait l’issue de l’histoire, mais nous savions avoir plus tard le temps de tracer les lignes, de chercher les rapports, de comprendre ou reconstituer à partir des épisodes le récit possible ou inventé de notre aventure, qu’il soit le même pour chacun de nous, ou désaccordé. Si je perdais le fil ou mes clés, ou si j’avais trop froid pour rompre le givre qui emprisonnait mes lèvres et la suite de mots qui nous sauverait un temps, elle brûlait quelques racines ou vieux cartons, ou d’un souffle sur ma bouche à portée du baiser elle ranimait le peu de circulation sanguine qui suffisait à nous mouvoir. Nous regardions les gens, les rues, tout le décor, et prélevions, souvent au hasard et dans la désorganisation, des éléments qui nous servaient de moteur et d’âme. Nous suivions quelqu’un et lui parlions, entraînés peut-être par lui s’il était d’esprit disponible, parce qu’un détail ou son visage avait retenu notre attention fluente, ou alors que lui au contraire fût pris dans notre mouvement. Si le hasard ne suffisait pas, ou se révélait pauvre dans ses suggestions, ce qui était plutôt rare, elle ouvrait le petit cahier ou agenda qu’elle tenait à l’ordinaire dans sa poche et dans lequel je la voyais inscrire de temps à autre quelques phrases téléscopées, indéchiffrables par un autre qu’elle. Elle y trouvait toujours une ressource inédite, un lieu, une personne qui n’attendait qu’un signe pour ressortir de son antre et nous accompagner le temps de quelques chapitres ou aléas, prêter main-forte, décider pour nous de la