Je voyais à ses jambes l’interminable assaut qu’elle ne cessait d’opposer aux hommes qui l’abordaient, à son cou l’ombre des morsures, la cicatrisation toujours en cours et jamais raffermie de la peine des autres ; car elle ne demandait rien, elle me raccompagnait en silence telle une faveur qui devait infuser tout l’intervalle de nos retrouvailles qui n’étaient jamais fixées ou prévues autrement que par mes soins, et je n’attendais jamais trop longtemps de peur de ne plus retrouver ce visage, de le voir lavé par l’oubli ; je ne connaissais pas ses attaches comme elle ne connaissait pas mes liens ; elle avait eu à faire avec la brutalité, rapports anciens dont elle s’était dégagée, mais elle gardait toujours à portée un endroit de repli, à défaut. Elle avait pour habitude, et c’était un message tangible, de garder quelques secondes en trop le verrou de ses doigts autour de mes poignets, quand nous étions dehors, au moment de nous séparer, elle serrait un peu plus à l’instant dernier, et j’en sentais quelques minutes encore la marque à mes jointures, de même que quelques instants j’étais déséquilibré par l’absence subite. Les vitrines m’accordaient leurs feux pour que je ne perde pas mes propres pas, je me sentais délesté et rompu, j’avais hâte de marcher, de retrouver des marques, je ne pouvais pas me passer plus de quelques heures de respirer l’air libre ou au moins de lever la tête ; mes membres étaient endoloris et simultanément décuplés ; et elle était partie sans que je sache ni comment ni où, elle était peut-être déjà suivie, en train de semer quelque intrus, perdue entre les rayons trop froids d’un supermarché