Le couloir
Anna retournant dans sa chambre n’entend plus rien, n’entend plus ses pas dans le couloir de l’hôtel tout allumé; elle marche mécanique passant devant toutes ces portes sans les voir ; percevant à peine l’étendue de la ligne droite, car c’est encore ce qu’elle arrive le mieux à discerner en toutes occasions sans avoir à rien faire ; ses bruits de pas sont inaliénables à l’aplomb qu’elle met à marcher, à avancer à chaque pas, chaque pas comme une arrachée au sol et à ce qu’il traîne, sur une rythmique lente et presque désolée ;
lumières toujours allumées dans le couloir pour les marcheurs de nuit ;
ou peut-être s’éteignant après de longues minutes, par le bruit pesant d’un ressort ou d’un mécanisme qui se détend ; minuterie annonçant à son terme le silence,
étranglant le silence redoublé par le noir d’un coup ;
Anna ne tente pas de masquer le bruit de ses pas, elle n’étouffe rien de ce qui la constitue ; marcher pour elle n’a d’équivalent en rien, c’est simplement une solution à l’immobilité, une poussée vitale, une respiration ; stilleto battant malgré la moquette rouge
Anna s’arrête et fixe, comme le tout dernier objet du monde, la paire de chaussures homme posée devant une porte fermée, à côté d’un plateau repas posé sur le sol ;
comme si elle ne comprenait pas ;
petits pois qu’elle prend dans l’assiette, porte à sa bouche et mâche, chaussures qu’elle examine comme si elle n’avait vu personne depuis des années ; elle s’est accroupie,
peut-être essaie-t-elle d’imaginer
non décidément Anna n’est pas quelqu’un qui essaie, elle n’essaie pas d’imaginer mais regarde attentivement la matière, pénètre au mieux les choses qui sont à sa portée, qui viennent à elle ; quand elle repose les chaussures celles-ci claquent comme n’ayant plus rien à montrer.
*
Toujours ce besoin de voir ; de retour dans sa chambre Anna après s’être déshabillée retrouve l’obscurcissement, les strates du paysage
repousse le rideau que l’homme dans son réflexe avait fermé ;
ne voit peut-être même pas le train qui passe, qui l’aide pourtant à regarder en elle, à rechercher de quoi dormir, une raison valable au repos et à l’abandon.
*
Son visage est caché comme s’il ne fallait voir où portent ses yeux
visage dérobé, tourné vers le dedans, pour éviter la confusion d’interpréter son regard
*
Anna nue à la fenêtre
(elle ressemble à l’animal à la rivière, guettant)
peut-être entendant des phrases empêchées
retrouvant une immobilité, l’attente, peut-être ayant perdu l’objet de l’attente,
faisant la constatation répétée de l’accumulation des couches de nuit les unes sur les autres,
n’y trouvant quoi plus rien à apprendre
mais tout à réitérer, la force de rechuter, de reprendre.