Anna Silver _ 07 _

Heinrich Schneider

Dans le lit étroit lit d’une place l’étreinte de l’homme n’est plus réservée mais maladroite, les gestes d’Anna sont robotiques et effondrés ; enfin elle se redresse et s’asseoit ;

quelque chose se casse mais se lie ;

il y a quelque chose qui ne va pas ?on ne s’aime pas,  corps empêchés, nuit trop proche pour se toucher ; pourtant j’ai l’impression de vous connaître depuis toujours, l’accent allemand si grave, si grave que chaque parole émet sa propre ombre.

Anna est assise droite dans le lit où l’homme à ses côtés est encore allongé, curieuse vue de l’angle droit qu’ils forment ainsi ; elle lui demande de se rhabiller.

Devant la fenêtre l’homme rhabillé et démuni,
cela fait longtemps que je n’ai plus regardé la nuit,

et pourtant ce geste désespéré qu’il fait tout de suite après avoir parlé, comme un aveu, de refermer le rideau.

L’homme va partir, il est à la porte, ne manque que l’impulsion décisive

On rencontre une femme, on la raccompagne, on a l’impression qu’il va se passer quelque chose de beau, on a de l’espoir tout à coup, et elle dit rhabillez-vous, et on se retrouve seul ; est-ce que c’est toujours comme ça dans la vie ?

Anna s’approche de lui, l’appelle Heinrich, et sa voix se fait plus douce, pour la première fois une couleur, encore pâle, illumine un peu.

Mais
de toute façon demain il faut que je m’en aille
(elle va à la fenêtre)

Cela fait longtemps qu’il n’a pas regardé la nuit ; voilà que dos à Anna fixant l’étendue sombre c’est Anna qu’il s’apprête à regarder, qu’il regarde déjà, Anna la nuit ;

Anna ou la nuit, parentes et alliées.

*

ausgang ; il n’y a pas d’heure, portes toujours prêtes à s’ouvrir, même sans personne ; mais s’arrêtant à la frontière, dans le sas des doubles battants, Heinrich lui propose son adresse car on ne sait jamais ; on peut avoir besoin de quelqu’un ; Heinrich lui écrit l’adresse et il laisse à tout ce qu’il fait ou dit une empreinte d’humilité, un petit enveloppement délicat jusqu’à la manière de demander à quelle heure elle s’en ira, demain ; et demain c’est l’anniversaire de sa petite fille à lui, qui aura cinq ans ; alors Anna qui se souvient de petites filles, des deux petites filles qu’elle aurait dû avoir, c’était pas possible c’était pas le moment, veut bien aller les voir tous, demain, avant qu’elle, ne s’en aille

à quatre heures

Il viendra la chercher, dit-il, vers midi, et lorsqu’elle répond dans sa manière à elle de laisser libre l’autre au point de s’effacer, si vous voulez, alors Heinrich dans sa façon à lui, s’arc-boute sur le Oui par lequel il répond, et part ;

*

Les yeux d’Heinrich vont percuter le noir, la nuit, se voiler peut-être du froid du dehors, et alors Anna le regardera s’éloigner, et ses yeux à elle, à tenir une fois de plus le plus longtemps, à s’abîmer à scruter, vont se voiler aussi d’une autre manière, et l’image de leur séparation se perd dans une pluie de griffures, de coupures, comme le papier que sans relire on froisse avant de le jeter.

>>Le couloir