Pour je ne sais quelle obscure raison mon cerveau m’envoie régulièrement le souvenir des gens les plus pitoyables que j’ai rencontrés, les plus nocifs, les plus insignifiants aussi. Les noms, leurs visages, les circonstances dans lesquelles je les ai croisés. Des circonstances parfois pathétiques, dans lesquelles ma situation n’est parfois guère plus reluisante. Les reflets de ma propre médiocrité, sans doute. J’aurais préféré oublier, comme j’oublie en général à peu près tout. Ces visions me prennent toujours par surprise, aux moments les plus surprenants, les moins opportuns au retour sur soi ou à l’introspection. En quelque sorte, ils viennent à nouveau me déranger, ils reviennent me déranger avec leurs maladresses, leur laideur, leur bêtise. Mais voilà que je suis pris d’une curiosité à leur égard. Qu’ont-ils bien pu devenir avec leurs fardeaux. Sont-ils toujours aussi patauds, aussi vils, aussi inertes ? Ai-je fait mieux de mon côté.. ? Hier encore, devant le miroir, le souvenir d’un de ces spectres ; une personne et son image se superposait à la mienne dans cette lumière jaunâtre de salle de bain. En repensant à elle, j’ai eu soudain l’envie de me venger, de lui nuire. Non pas qu’elle ait eu une réelle prise sur moi, ni autre action réellement malfaisante, mais tout de même, suffisamment de demi-heures forcées en sa présence nuisible pour y repenser avec un goût désagréable. On devrait pouvoir, jusqu’à une certaine limite, agir facilement et à distance pour se venger. Cette personne n’avait semblé avoir eu pour tout but que d’être le plus désagréable possible. Mais ma patience peut être infernale quand il s’agit de déplaire aux odieux. Je laissai donc tout glisser, je redoublais de prévenance, je faisais mine de ne rien remarquer, ce qui lui avait l’air insupportable, jusqu’à disparaître. Croisée à nouveau quelques années plus tard, elle avait l’air d’être héroïnomane.
D’autres encore, plus simplement des personnes de passage, de ces personnes qu’on ne fait que croiser, mais qui s’invitent et reviennent me visiter ponctuellement, pour je ne sais quelle obscure raison. Tous ces gens existent probablement quelque part, peut-être hantés par le remords, peut-être visités eux-mêmes par d’autres fantômes du passé, et j’en fais, qui sait, partie.