État des stocks amoureux


Depuis des semaines je suis pris dans une inertie. Je m’intéresse beaucoup plus à ce qui ne se dit pas. Je me laisse aller à une nostalgie excessivement salée, presque mourante d’elle-même, tirant sur le mauve évidemment. Je me lamente de salle de bain, en étirant la peau de mon visage jusqu’à ressembler, je ne sais pas, au moyen-âge, à un christ d’anonymes. Aujourd’hui (accélérons) une photo animée (c’est un visage de beauté pas négociable, de ceux qu’on aimerait oublier) a attiré mon attention, a … N’importe quoi : elle a broyé les sentiments de mon coeur. Ceux que j’avais chassés à la carabine. Je sais qu’il n’est pas de bon ton de, de dire certaines choses, de même qu’il ne faut pas arpenter certains arrondissements, trop mal vus. Mais (beaucoup de mais) je me satisfais de vos rejets. À force ils deviennent un baume, comme une promenade dans une ville en ruines. Une ville d’Allemagne et d’argent me devient une légende. Légende dont je ne fais rien que scruter le souvenir gâché. Maudissures de ces deux nuits qui ne vont cesser de tomber de mes poches. J’aime l’anecdote car elle est matière à merveille, chatoiement, charbon et diamant. Pour l’instant, je tiens certains éléments du passé au-dessus de ma tête et les regarde dans la lumière. Je suis encore en train de foirer et de me laisser aller à écrire. Alors que sans doute il suffirait de dire. Mais je ne peux dire qu’à moi, moi comme simple interlocuteur, interloqué. Cyclope découragé détruit. L’oreille est ennemie ; j’ai tant craint d’être écouté. J’ai la réflexion en horreur, je la tiens à distance comme sur une route mal éclairée. Cette nuit, j’ai pris un ascenseur, mais il n’y avait qu’un seul bouton. La cabine ressemblait à un vieil appartement vermoulu et trop étroit. Accroché à la paroi, l’emballage d’un cadeau déjà ouvert. Je pressentais qu’il ne fallait pas aller là où précisément je me rendais, dans cet appartement que je connaissais déjà. Je n’étais pas attendu. J’allais déranger sans doute un couple. Elle avait déjà reçu le cadeau, la preuve en était sous mes yeux. J’entrais en état de panique. C’était quelqu’un de cher, l’être aimé (au visage non négociable, insubmersible etc.), et elle avait accepté l’autre, et son cadeau. En bref je n’existais plus, je n’étais là plus que pour moi. Je comprenais tout ça en un instant, et l’ascenseur montait, ma fièvre. Il n’y avait pas de bouton pour redescendre. Quel ennui que les récits de rêve. Ça ne vaut qu’interrompu, et encore. On en fait trop une folie. Rêves mal battus des heures précédentes. Je préfère me tourner vers le mur, me réveiller, sentir le poids du jour, qui n’a pas de prix. Une sorte de bave de réalité coule de mes lèvres. Je veux bien accepter de dire mais alors quelque chose qui fasse mal, qui touche, qui assaille, qui tourmente. Où trouver cela ? Le cadeau, l’ascenseur n’existent plus, même en vrai. Il a suffi de se taire pour que cesse. J’avais oublié le bruit que fait la peine. Un bruit de chasse d’eau. Un bruit proprement assourdissant : vous êtes si seul à l’entendre. Un carré de tissu se gorge d’eau, ce sont des circuits de mots, de faïence. Et l’autre se mouche dedans. Oh je ne dis pas qu’il n’y a pas un peu de douceur, malgré tout, d’y penser, de revoir ces quelques images-visages. Les retenir malgré tout, dans leur douloureux double sens, leur donné-rendu. Cela vous broie juste au passage. Cela a un goût unique, terre nourrissante en bouche, peut-être comme celui que vous imaginez d’une ville dont vous savez que vous ne la verrez jamais. Ce que je prenais pour la lune n’est que le bouton de nacre fendu de ma chemise. De nos jours il suffit d’ouvrir des placards, pour voir la vie des gens, et j’abuse du spectacle. C’est fou, cette défaillance à dire, à énoncer ne serait-ce que.. que quoi ? Même ça je n’y arrive pas. Ce n’est pas un texte, c’est une fuite. Tout est comme ça. Je ferais mieux de retourner me reposer au musée Grévin. Ne parler plus que par formules, titres de livres, bons de commande. Je jette la nuit après usage.