Je me mets dans la peau du fantôme.
Il faut que cela ait passé le filtre infini des jours. Quand je ferme les yeux je vois ces petits points que je ne peux pas nommer ni reconnaître, un motif probablement d’insatisfaction qui danse, seul. Il faut que je reste assis face au rien pour trouer l’ennui, le martyriser. Seul le dérisoire vient se pencher sur mon épaule. Je rêve de prendre un bus, un bus vide qui roulerait au hasard et s’arrêterait devant les divers états de la mémoire, telles des boutiques désaffectées, des défaites.
Je regarde passer les événements, ouvert à toutes les expressions, un chronomètre à la place du cœur. Le monde est une sphère qui ne tourne pas autour de moi ; simplement, s’éloigne. Je remue les lèvres pour personne.
Je repense parfois à ces photos anciennes de vingt ou trente ans, quand l’appareil était trop rudimentaire pour désavouer l’ombre qui gagnait la partie, et la lumière déclinante plus assez forte pour éclairer les visages en face.
Cela faisait la beauté du visage, cette absence dans la lumière rasante, l’impossibilité toute fraîche de ne plus voir les yeux qui eux vous dévisagent, l’heure où cela basculait sur les façades. C’est par exemple sur un balcon, il est déjà un peu tard, on est sûr que le temps va passer encore aujourd’hui.
Le visage est déjà dans le noir.
Tu sens la douceur du scandale, tu sens déjà comme une disparition, un twilight.
Il ne reste plus que la poussière de l’idole Amour brisée, et elle s’est lavé les mains avec mes larmes.
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