NEON


« ainsi donc le diamant ne contient aucun des gaz rares, néon, krypton »

on s’ennuie aussi à Paris. ce sont les mêmes gestes de solitude. la lumière est déjà corrompue et se coupe sur mes mains en tombant. on m’a vacciné au désespoir. je dors sur deux matelas médiocres posés l’un sur l’autre d’une paix bien précaire qui cesse dès que j’ai les yeux ouverts. l’habitude en décuple l’amertume. tristes onze heures quand tu ne sais comment occuper le reste de la journée qui pourtant succombera trop vite d’être vide. vivre, n’est-ce que mourir sans s’en rendre compte ? je joue avec un élastique qui se trouve là sur ma table où tout a l’air figé par la peur. de menus détails dans des abîmes de perplexité. j’ai perdu la faculté des observations décisives, et l’espace est ce qui rampe au sol. rien ne ressemble plus à rien. plexus lunaire. l’élastique que j’ai enfilé comme un bracelet me déchire le poignet, me serre et provoque une rougeur qui est celle d’un sang ralenti, condamné. la seule liberté qui reste est celle de mes pensées en désordre. un visage flotte dans mon esprit, c’est-à-dire au milieu de nulle part. j’ai d’abord peine à le reconnaître, garçon fille aux yeux clos. je ne vois pas le corps qui semble flou, matérialisé devant moi en dessous des limites de la perception claire. les yeux s’ouvrent lentement et me fixent, devrais-je dire m’accusent. deux amandes amères et noyées, je les reconnais et mon ventre s’anime un peu ; c’est ainsi que cette figure ruisselante a choisi de me parler. quelqu’un que j’ai connu, croisé, oublié. je cherche à me frotter à l’apparition. peut-être acceptera-t-elle un peu de ma vraie misère comme une fausse monnaie. des os en cascade, elle est très en angles, en paroles de rue. réanimation dans les grands ensembles. nos langues sèchent. tout contre ses cuisses de lumière je ressens de plein fouet l’exceptionnelle faculté de glisser d’une image à l’autre. de brefs rectangles de vérité passent et m’aveuglent. je recherche la présence étrange des cerfs et des néons. mais soudain je sens cette joie inédite d’être vivant. car dans cet état maudit, chaque effet est exacerbé et me fait ressentir des faisceaux d’enthousiasme cabré. mes plaintes sont des chants. je dois tout à cette fatigue de platine, inusable, qui tournoie dans mon cerveau comme un pâle hélicoptère. le sommeil aussi est une lutte, un long spasme. pendant que le jour s’écorce, je sors et la ville n’est qu’une suite de signes indéchiffrables vers lesquels je me précipice. je vais au rythme de quatre fleuves. mais mon remous se pétrifie. je ne me reconnais dans aucun des visages que je croise. j’efface mes traces, mon historique, comme je briserais un miroir. je sais qu’il ne peut rien se passer, mais quand je marche, je reprends un peu d’espoir. les degrés de séparation semblent se rétracter, mon cœur n’est plus ce radiateur froid. une amorce de sentiment, encore faible, un frémissement… mais je le sens qui m’échappe, coulant de la plaie du soir entre mes incisives. les gens se rejoignent pour se parler, je n’y ai plus ma place. je me demande ce qui arrive, ailleurs, pour d’autres. pour la petite fiancée de l’Amérique. ce sanglot que je ravale sera mon seul repas. au moment de me retrouver derrière la fenêtre, toujours cet abattement qui me prend. il suffirait d’être dans un autre appartement, un dimanche soir. en face, près de cette femme qui fait taire les consciences afin qu’elles ne se relèvent plus. élevage de cruauté que je chéris, peu m’importe d’être compris. qu’est-ce donc que ce chaos de mots que j’assemble, un transit qui infiltre une lumière infectée, une nuit de tango pour les aveugles — et je ne voulais pas voir le ciel, qui me le rendait bien.