crème fraîche


je n’arrivais pas à écrire ce poème que j’avais nommé « Crème Fraîche »
le titre était parfait, il m’était venu en ne lavant pas mes carreaux,
ce film suivez-mon-regard que j’avais vu cent fois
j’étais là avec ce titre, ce titre parfait, « Crème Fraîche », mais rien ne venait.
c’était pourtant aussi clair et beau que ces lettrages au pochoir
vantant sur les vitrines, « Crèmes Fraîches »,
tenant bien les promesses limpides de ce qu’elles vendaient

mais disons que j’avais le titre d’un poème, c’était déjà pas mal, je n’avais pas envie de m’accabler,
déjà que pour diverses raisons liées à une fille je me trouvais un peu minable,

je la voyais, impériale derrière le volant de sa décapotable, lipidineuse
(j’étais quand même pas peu fier de connaître une fille qui possédait une décapotable)
avec son sourire carnassier, elle avait déjà la pied sur l’accélérateur, souriait à, je regardai tout autour,
oui à moi et à tout va,
elle attendait que je monte ou que je lâche la poignée de la portière, j’avais pas trop envie de savoir
elle avait le style boxeuse en vacances

on s’écrivait de petits billets cochons qu’on avalait, c’étaient les instructions,
des petites formules fleuries et impubliables,
sans «phrases-sans-je-pour-faire-moderne»,
ah si j’avais pu m’en souvenir pour Crème Fraîche!

tout ce que je savais c’est que c’était un poème fouet à sens multiples
un poème à crinière dans laquelle mettre la main et l’en ressortir sale
et puis le poème venant quand il veut, il suffit d’attendre en mangeant des obsessions de popcorn
ou de fermer les yeux devant la route qui défile derrière le pare-brise
(quitte à chantonner un peu discrètement sous la fenêtre de la concierge, pour sa fille)

j’attendais toujours, et il y avait chaque matin le mot « prévarication »
qui s’écrivait tout seul sur le mur en face de ma fenêtre,
et je regardais chaque jour ce que ça voulait dire dans le dictionnaire,
et pourtant chaque soir j’avais oublié
et le mot s’était effacé

enfin bref c’est pas le propos, car crème fraîche je savais ce que ça voulait dire
et je tournais toujours autour
et le moteur de la décapotable aussi tournait c’était pas trop écolo mais je m’en fichais,
le vert et le jaune m’indifféraient
la voiture était noire, la crème était blanche, les murs étaient gris,

j’avais le titre, j’étais presque dans la décapotable, c’était quoi qui clochait?
des oublis mineurs, qui me mettaient dedans, des déserts trop fléchés ;
je me retrouvais face à mon grand miroir, mon grand malheur,
celui de ne pas me prendre au sérieux, celui de boire d’un trait les meilleures raisons,
mais après tout, certains jours, les teintes valent tous les mots,

alors, dans la défaite je sortis,
préférant m’accabler à la contemplation d’une dresseuse de tifs sous-alimentée,
et de son bas qui filait doux