retour à ex-city


Pour me réincorporer à Paris, après seize jours d’absence, oui seize jours d’absence, seize jours sans moi (je me suis cherché à la gare, le gouffre), j’ai signé le registre inépuisable des retours et des tourments.

Alors aujourd’hui je fais des lignes de métro. J’en prends une au hasard, je descends à une station, j’opère un changement, je marche no direction dans les tunnels, de la danse d’après-midi, je prends des couloirs à Opéra, à Louvre, Grands Boulevards souvent des tunnels de tailles moyennes, pas trop larges mais très fréquentés, où nous sommes des aimants condamnés à nous repousser, jeu sans solution d’éviter les corps en nombre, je me dilue à la densité de la ville et à ce silence de bruits frottés. Je reprends de la vitesse, le moteur, la partie.

Je laisse pour l’instant les visages à d’autres, à d’autres jours ; je me fixe sur les couleurs, les vêtements de couleurs criardes qui accrochent bien la lumière, tout cela vous sale enfin le regard, ça change de la nature toujours un peu éteinte, polie d’ennui, qui m’horrifie tant elle est et sera toujours, convenue, indifférente. Ici, pas moyen de ne pas être surpris continûment. Ces teintes de villes, vives et aplaties, se découpent sur le gris des murs qui nous lapent, on l’oublie le plus souvent à force de ne jamais rien quitter. On ne voit plus ces lèvres muettes, closes la plupart du temps, d’où certains néanmoins parlent à voix basse, avec ou sans téléphones, on ne sait plus maintenant comment reconnaître les fous parlants, on est tous passés, en puissance, dans cette catégorie. Pour l’instant, je me tais.

Je laisse les visages me dépasser, sans distinction, ou alors peu à peu, seulement par découpages, prélèvements, par grappes. Surtout pas les yeux, encore trop mouvants et sinueux, trop nombreux et intimidants. Je m’attache seulement aux formes des lèvres justement, ces petites vagues obscènes, les variations de courbures, l’infime sueur qui perle, qui la lèchera dans un couloir confus ? J’ai si souvent envie de goûter cette texture élastique et résistante, souple, mouillée, dérapante. Un quartier d’orange mal famé, l’intérieur exposé imprudemment aux regards. Ce sont les plus beaux portraits de langueur et il y en a partout autour, sans monotonie. Je sens que ma langue est vivante, partout des lèvres s’attachent et se séparent dans un pop imperceptible. J’imagine un jeu vidéo à manœuvrer de lèvres collantes. Match nocturne quand tu répètes que « tout est trop tard alors faisons-le ».

Je cherche l’horaire affolé à midi, les lumières crachées sur nos visages pris entre le rouge et le vert, le soir venu trop vite refroidir nos espoirs. Je retrouve ce mélange de parfums infâmes mais qui vous fouettent comme des mots nouveaux, je retrouve les cages d’escaliers aux minuteries parfois décisives, ces pièges à fuites.

Sandwiches infinis ; revues froissées ; étreinte de mèches froides contre mes côtes ; remontée de cuirs morts ; je retrouve tous tes visages étranges de ville qui tourne noir, ces physionomies distraites ou terrifiantes, intarissables, ce truc injuste qui court partout en désordre, baskets à talons, cet esprit insaisissable, je ne sais jamais si j’aime ou pas, lumières encore de boucheries et d’acryliques, j’attends devant des portes d’immeubles, je le fais, vraiment, on me regarde (in)différemment, je fais le personnage de roman quoi.

Et bien, oui, car j’espère, naïf, trouver des issues nouvelles derrière les portes anciennes ; et en attendant, tout est là ; et j’admire en marchant ces élégances indignes qui désirent à chaque pas.