pour Jacques Rivette
pardon je répondais
à une jeune femme
au téléphone
je notais son adresse,
en même temps que la tonalité
de sa voix
vengeresse
vaporeuse
telle une branche d’arbre
détachée de tout
humide
qui frappe pourtant des visages dans la nuit
un automatisme me portrait
vers elle
en pommeau de canne
prêt à verser sur son ventre des solutions salines
je la voulais pour mon jeu de cartes
prêt à donner de ma personne
prêt à lui réciter les consignes d’évacuation
les instructions de secours
en lui léchant le pavillon
je lui faisais des signes derrière la vitre de la cabine
la dernière cabine téléphonique avant la fin du monde
qui ne servait plus qu’à nos jeux
le jeu de change-époque
on se criait ce verbe nuovo qui signifiait « rester dans le bruit
à ne plus faire que des promesses »
aux bras nus en déséquilibre
je voyais à travers le tableau de bord
passer les vitesses ultimes de la fièvre
avant même d’avoir mis la main
sur le velours, la panne, la paume
les étoiles s’allumaient une à une
avec fiasco
fusionnant l’envers et l’endroit
sa voix continuait de grésiller dans le combiné
« est-ce toi qui a mis les beaux draps dans la pénombre ? »
j’avais pour elle un bijou en broche une forme de flèche
trouvé dans une brocante du sixième district
afin qu’elle l’accroche à hauteur de son sexe
pour l’amour émettre sans interférences
j’avais envie de négligés-froissés
face au réel ses embardées un peu trop esthétiques
le silence m’échappait depuis la cabine de verre fêlée
résonnait dans ma tête sans cesse le mot Élasthane
comme le nom invoqué d’un Dieu inattendu
j’étais pris dans une colère parallèle
laquelle de l’autre côté de la planète était jouée aux dés
par un dément du poker-face enrichi de mes dépits
réduisant à distance
ma peau
à un chagrin sans valeur
il faisait de plus en plus froid
car la tendresse avait été brevetée
je restais fasciné par son plumage
il m’aurait suffi d’en arracher l’étiquette
pour y trouver le code
mais j’étais attiré comme un insecte
vers les magasins d’ors
j’y revoyais la scène où s’enfonce
l’agrume sur le visage de l’actrice
maquillage écrasé
mon œil, sans cesse attiré par les couleurs
la voix de la jeune femme
à travers des cubes de glace
(aux bords des lèvres ces gouttes cristallines)
articulait le mot « belowed »
c’était une amoureuse très contemporaine
je devais répondre à son appel
qui signifiait au-secours
dans la langue-interne du volatil
128657 personnes connectées à la terre
ici-maintenant
et elle nous moi je
l’ai talonnée
jusque chez moi
guidé par le roulement labile de ses hanches
pour gagner du temps elle savait
où je logeais quel étage quelles vaines vanités
et avait la clé
éphémère
du local platonique
où tout n’était plus que remous
à suivre