j’aime beaucoup ces petites abréviations dont vous parsemez le courrier que vous m’envoyez, j’aime beaucoup lire vos lettres, cela vous le savez, je vous le répète sans cesse en vous fourrant ma langue dans l’oreille, cette charmante coquille. oui vos fautes d’orthographes me charment (pourtant ce qu’elles peuvent m’agacer, chez les autres!, mais ne faut-il pas aimer très fort quelque chose d’une personne pour la détester d’autant plus chez tous les autres ?), et ne serait-ce que de voir les fines lettres tracées par votre main, quoiqu’un peu frustes, je suis pris de ces petits frissons reconnaissables entre mille, et qui vous sont destinés comme les cent et mille dents d’une même scie. et ce que je peux aimer ouvrir l’enveloppe ! je déchire frénétiquement le papier et je crois vous entendre soupirer, comme vous le faites après que nous le fîmes, sur le vert émeraude de votre canapé.
mais, je dois bien l’avouer, je suis parfois gêné, quand je ne suis plus capable de déchiffrer vos phrases. vous êtes si pressée de m’écrire que vous abrégez tout sauf mes souffrances, vos lettres deviennent indécidables, codées, vous m’écrivez «je p. pr vos li.», ou encore «j’aimerais vous c. en tout dé. pendant que vs m’i. de votre f.», et je ne sais quoi penser, quoi comprendre, j’y passe des heures, le sens presque complet de ce que vous me dites m’échappe désormais. mais je garde intact l’espoir de vous revoir, pour obtenir des éclaircissements, je sais bien que nous ne nous sommes vus que très peu, les jours que nous traversons sont troubles, mais quelle merveille que cette heure passée en votre compagnie dans ce couloir mal éclairé, la dernière fois, ce couloir d’hôpital, certes, mais enfin, tout de même, malgré vos blessures, j’ai aimé caresser votre épaule luxée, sentir vos lèvres gonflées sur les miennes, comprendre à peine, déjà, ce que vous peiniez à articuler.